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NICOLAS NICKLEBY.

vivement Nicolas, comme si cette réponse était conforme au but de sa question. — Parce que j’avais des souvenirs lorsque j’étais enfant ; mais il y a bien longtemps, ou du moins il me le semble. Toutes mes idées se confondaient en ce lieu d’où vous m’avez tiré ; je ne pouvais me rappeler, et souvent même je ne pouvais entendre ce qu’on me disait ; je… attendez, attendez. — Ne pensez plus à ce lieu, car tout est fini, repartit Nicolas fixant ses yeux sur ceux de Smike, qui prenaient une expression de stupeur et d’insensibilité qu’ils avaient eue jadis habituellement. Vous souvenez-vous du jour où vous êtes venu dans l’Yorkshire ? — Ah ! s’écria le jeune homme. — C’était avant que vous perdissiez la mémoire, vous savez, dit tranquillement Nicolas. Le temps était-il chaud ou froid ? — Humide, répondit Smike, très-humide. Je me sentais tout glacé, car je pouvais me voir tel que j’étais alors, entrant par la même porte… — Tel que vous étiez alors ? répéta Nicolas avec une indifférence affectée : comment étiez-vous ? — Un si petit enfant, qu’on aurait pu avoir pitié de moi, rien qu’en se le rappelant. — Vous n’étiez pas arrivé là tout seul, dit Nicolas. — Non, certainement non. — Et qui était avec vous ? — Un homme, un homme à la figure brune et flétrie ; je l’ai entendu dire à la pension, et je m’en souvenais autrefois ; je fus content de le quitter, car j’avais peur de lui ; mais j’eus bien plus peur de mes nouveaux maîtres, et ils me traitèrent bien plus mal. — Regardez-moi, dit Nicolas, voulant attirer toute son attention. Là ; ne vous détournez pas. Ne vous souvenez-vous pas d’une femme, d’une femme douce et bonne, qui se penchait sur vous, vous embrassait et vous appelait son enfant ? — Non, dit la pauvre créature en secouant la tête. — Ni d’une autre maison que de celle d’Yorkshire ? — Non, répondit le jeune homme d’un air triste ; il y avait une chambre… Je me souviens que je couchais dans une chambre, une grande chambre déserte au dernier étage, avec une trappe dans le plafond. Souvent, je me cachais la tête sous mes draps pour ne pas la voir, car elle m’effrayait, moi, tout enfant, laissé seul la nuit, et je me demandais avec inquiétude ce qu’il y avait de l’autre côté. Il y avait une horloge aussi, une vieille horloge dans un coin ; je me rappelle cela, je n’ai jamais oublié cette chambre, car, quand j’ai des rêves affreux, elle revient juste comme elle était. J’y vois des choses et des gens que je ne voyais pas alors ; mais c’est bien la même chambre, cela ne change jamais. — Voulez-vous me laisser prendre ce paquet, maintenant ? demanda Nicolas changeant brusquement de conversation. — Non, non, dit Smike, allons vivement.

Le soir, ils arrivèrent à Godalming, firent marché pour deux humbles lits, et dormirent profondément. Ils furent sur pied dès le matin.