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NICOLAS NICKLEBY.

donna plus ou moins de coups. À l’aide de cet encouragement, on le décida à bouger de temps en temps, et la voiture alla tant bien que mal.

— Au fond, c’est un bon petit cheval, dit M. Crummles à Nicolas.

Il était possible qu’il le fût au fond, mais il ne l’était certainement pas à la superficie. Nicolas se contenta donc de répondre : — Je ne serais pas étonné qu’il fût excellent. — Il a fait du chemin, reprit M. Crummles en le fouettant adroitement sur le front en sa qualité de vieille connaissance ; il est partie intégrante de la troupe. Sa mère a joué la comédie. — Tiens, tiens ! — Pendant près de quatorze ans, dit le directeur, elle mangea des pommes dans le cirque, tira des coups de pistolet, se coucha en bonnet de nuit, et remplit complètement les intermèdes. Son père était danseur. — Était-il tant soit peu distingué ? — Il n’était pas fort, dit le directeur. Le fait est qu’originairement il avait été loué à la journée, et qu’il ne se défit jamais de ses anciennes habitudes.

Le descendant de ce quadrupède nécessitant à chaque pas une recrudescence d’attention, M. Crummles fut obligé de s’interrompre, et Nicolas fut laissé à ses propres pensées jusqu’à leur arrivée au pont-levis de Portsmouth.

— Nous allons descendre ici, dit le directeur, et les enfants vont conduire le cheval à l’écurie et porter mes bagages à mon logement. Vous ferez bien d’y demeurer provisoirement.

Nicolas remercia M. Vincent Crummles de son offre obligeante, descendit, prit le bras de Smike, et accompagna le directeur au théâtre, assez tourmenté de l’idée de ton introduction immédiate dans un monde si nouveau pour lui.

Ils passèrent devant des murailles couvertes d’affiches, où les noms de M. Vincent Crummles, de madame Vincent Crummles, de M. Crummles aîné, de M. P. Crummles, et de miss Crummles, étaient imprimés en gros caractères, tandis que le reste était à peine lisible. Enfin, ils entrèrent dans un corridor obscur où se faisaient sentir des parfums peu aromatiques d’écorce d’orange, de suie et d’huile quinquet, enjambèrent un monceau de paravents en toile et de pots de couleur, si grimpèrent, sur la scène du théâtre de Portsmouth.

— Nous y voici, dit M. Crummles.

Il ne faisait pas très-clair ; mais Nicolas se trouva près de la coulisse où se place le souffleur, au milieu de murs nus, de décorations poudreuses, de nuages à moitié pourris, de draperies barbouillées de peinture, et de planches. Il regarda ce qui l’entourait ; cintre, parterre, loges, galerie, orchestre, accessoires et décorations, tout était de la même espèce, froid, sombre et misérable.