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NICOLAS NICKLEBY.

— J’ai encore une nouveauté, Johnson ! dit un jour M. Crummles d’un ton joyeux. — Quoi donc ? répondit Nicolas ; le petit cheval ? — Non, non, nous n’en venons jamais au cheval qu’à la dernière extrémité, et je ne crois pas que nom ayons cette année besoin de cette ressource. — Un petit garçon phénomène, peut-être ? — Il n’y a qu’un seul phénomène, Monsieur, répondit Crummles en accentuant ses paroles, et c’est une fille. — C’est vrai, dit Nicolas, je vous demande pardon. Alors, je ne me doute pas de ce que c’est. — Que diriez-vous d’une jeune dame de Londres, mademoiselle telle et telle, du théâtre royal de Drury-Lane ? — Je dirais que son nom ferait grand effet sur les affiches. — Vous avez raison ; et si vous aviez dit qu’elle ferait un effet non moins grand sur la scène, vous n’auriez pas eu tort du tout : voyez-moi ça ; qu’en pensez-vous ?

À cette question, M. Crummles déploya tour à tour une affiche rouge, une affiche bleue et une affiche jaune, en haut de chacune desquelles était écrit en énormes caractères : Débuts de l’inimitable miss Petowker, du théâtre royal de Drury-Lane.

— Quoi ! s’écria Nicolas, je connais cette dame. — Alors vous connaissez une femme de talent, repartit M. Crummles en repliant ses affiches ; c’est-à-dire qu’elle a du talent dans un genre particulier. La femme-vampire, répéta M. Crummles, la femme-vampire mourra avec cette jeune personne ; et c’est la seule sylphide que j’aie jamais vue se tenir sur une jambe, et jouer du tambourin sur son autre genou, comme font les sylphides. — Quand arrive-t-elle ? — Nous l’attendons aujourd’hui ; c’est une vieille amie de madame Crummles ; avec sa perspicacité habituelle, madame Crummles a deviné ce dont elle était capable, et lui a appris presque tout ce qu’elle sait. C’est madame Crummles qui a créé le rôle de la femme-vampire. — Ah ! ah ! — Oui, mais elle a été obligé d’y renoncer. — Est-ce qu’il ne lui convenait pas ? demanda Nicolas en souriant. — Si fait, mais il paraissait ne pas convenir aux spectateurs. C’était trop effrayant ; il n’y avait pas moyen d’y tenir. Ah ! Monsieur, vous ne connaissez pas encore madame Crummles.

Nicolas se hasarda à dire qu’il la jugeait à merveille.

— Non, Monsieur, non, mille fois non. Je suis moi-même hors d’état de la bien juger ; elle ne sera convenablement appréciée qu’après sa mort. Cette femme étonnante donne, chaque jour de nouvelles preuves de talent. Regardez-la, elle a nourri six enfants, qui tous sont vivants, et tous acteurs. — C’est extraordinaire ! s’écria Nicolas. — Ah ! bien extraordinaire vraiment, reprit M. Crummles prenant complaisamment une prise de tabac et secouant gravement la tête. La première fois que