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NICOLAS NICKLEBY.

mettes saillantes ; somme toute, il avait une figure belle, mais légèrement bourgeonnée par la boisson. Sa poitrine était large et serrée dans un vieil habit bleu à boutons dorés. Dès qu’il vit entrer Nicolas, il passa deux doigts de sa main droite entre les deux boutons du milieu, et plaçant gracieusement un autre bras derrière son dos, il semblait demander : Maintenant, me voici, qu’avez-vous à me dire ?

Tel était le père de miss Snevellicci ; il avait été dans la profession depuis l’âge de dix ans, époque à laquelle il jouait les lutins dans les pantomimes. Il chantait un peu, dansait un peu, savait un peu l’escrime, jouait un peu et faisait de tout un peu, mais pas beaucoup. Il avait figuré quelquefois dans le ballet, et quelquefois dans le chœur de tous les théâtres de Londres ; on l’avait toujours choisi à cause de sa figure pour jouer les militaires et les seigneurs muets, et il se présentait si bien en scène que souvent des gens du parterre avaient crié bravo, dans l’idée que c’était un personnage. Tel était le père de miss Snevellicci, que des envieux accusaient de battre parfois la mère de miss Snevellicci. Cette dame était encore danseuse. Elle était placée en ce moment comme sur la scène, sur le second plan.

Nicolas fut présenté à ces braves gens avec beaucoup de formalités. Puis le père de miss Snevellicci, parfumé d’une odeur de grog, dit qu’il était charmé de faire la connaissance d’un comédien d’un talent aussi élevé, ajoutant qu’il n’en avait pas rencontré de pareil depuis les débuts de son ami Glavormelly.

— L’avez-vous vu, Monsieur ? — Jamais, répondit Nicolas. — Vous n’avez jamais vu mon ami Glavormelly, Monsieur ! alors vous n’avez jamais vu jouer. Ah ! s’il avait vécu… — Il est mort ? interrompit Nicolas. — Oui, Monsieur ; mais il n’est pas enterré à Westminster, et c’est une honte.

En disant ces mots, le père de miss Snevellicci se frotta le bout du nez avec un mouchoir de soie jaune, et donna à entendre à la compagnie que ces souvenirs lui étaient bien pénibles.

Cependant le lendemain, des affiches ornées de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel apprirent au public, en lettres affligées de toutes les déviations possibles de l’épine dorsale, que M. Johnson aurait l’honneur de jouer le soir pour la dernière fois, et qu’il était bon de se procurer des places à l’avance si l’on ne voulait rester à la porte. C’est dans l’histoire dramatique un fait remarquable, mais bien constaté, qu’il est inutile de songer à attirer des spectateurs au théâtre, si l’on ne commence par leur persuader qu’ils n’y entreront jamais.

En entrant le soir au théâtre, Nicolas fut un peu intrigué de l’agitation inusitée qui régnait sur tous les visages ; mais il en sut bientôt la cause, car avant qu’il put