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NICOLAS NICKLEBY.

Donnez-moi donc la main, et recevez mes sincères remerciements. Oh ! pourquoi me suis-je amusé ici !

Il accompagna ces paroles d’un trépignement d’impatience, détacha sa main de l’étreinte du directeur, et, s’élançant rapidement dans la rue, fut perdu de vue en un instant.

Smike avait fait diligence, et tout fut bientôt prêt pour le départ. Ils prirent à peine le temps de manger un morceau, et en moins d’une demi-heure ils arrivèrent tout essoufflés au bureau de la voiture. Il leur restait quelques minutes, et, après avoir retenu des places, Nicolas entra chez un fripier voisin, et acheta à Smike une redingote.

Comme ils couraient à la voiture, à laquelle les chevaux étaient attelés, Nicolas ne fut pas médiocrement étonné de se sentir tout à coup étreint dans un violent embrassement qui faillit le renverser ; et sa surprise ne diminua pas en entendant la voix de M. Crummles qui s’écriait :

— C’est lui !… Mon ami, mon ami ! — Bon Dieu ! s’écria Nicolas en se débattant dans les bras du directeur, qu’avez-vous ? qu’avez-vous ?

Le directeur ne répondit pas, mais le pressa encore contre son cœur en disant :

— Adieu ! mon noble enfant ! mon enfant au cœur de lion !

Le fait était que M. Crummles, ne pouvant perdre l’occasion d’une scène dramatique, était sorti tout exprès pour prendre publiquement congé de Nicolas. Pour rendre ses adieux plus imposants, il prodiguait à l’infortuné Nicolas une multitude d’embrassades de théâtre, dans lesquelles, comme l’on sait, celui ou celle qui embrasse appuie le menton sur l’épaule de l’objet de son affection et regarde pardessus. M. Crummles s’en acquittait selon toutes les meilleures règles du mélodrame, en tirant en même temps des pièces en vogue les formes d’adieu les plus douloureuses dont il pouvait se souvenir. Ce n’était pas tout, car l’aîné des fils Crummles infligeait à Smike une pareille cérémonie, et le jeune Percy Crummles, drapé théâtralement d’un petit manteau de camelot, se tenait à l’écart dans l’attitude d’un garde prêt à conduire les victimes à l’échafaud.

Les spectateurs rirent de bon cœur, et Nicolas, prenant son parti, rit aussi quand il fut parvenu à se dégager. Il alla au secours de Smike étonné, grimpa sur l’impériale après lui, et, pendant que la voiture roulait, envoya un adieu à tous.