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NICOLAS NICKLEBY.

— C’est singulier pourtant, si l’on avait dit Catherine ou Catherine Nickleby, j’aurais été moins surpris ; mais la petite Catherine Nickleby !

On lui apporta du vin, il en avala un verre et reprit un journal. En ce moment…

— À la petite Catherine Nickleby ! cria une voix derrière lui.

Le journal lui tomba des mains.

— J’avais raison, murmura-t-il, et c’était l’homme que je soupçonnais.

— À la petite Catherine Nickleby ! s’écrièrent les trois autres, et les verres furent replacés vides sur la table.

Irrité de la légèreté avec laquelle on prononçait le nom de sa sœur dans un lieu public, Nicolas fut prêt à se lever, mais il fit un violent effort et ne tourna pas même la tête.

Il est inutile de répéter ce qu’il entendit. Il suffit de dire qu’il en entendit assez pour connaître les caractères et les desseins des interlocuteurs, pour apprécier la scélératesse de Ralph et savoir les véritables raisons qui l’avaient fait mander lui-même à Londres. Il entendit encore railler les souffrances de sa sœur, attribuer à de vils calculs les vertueux motifs qui la guidaient, et en faire le sujet d’insolentes gageures et de plaisanteries.

L’homme qui avait parlé le premier donnait le ton à la conversation, où ses compagnons se contentaient de glisser une observation par intervalles. Nicolas s’adressa à lui, quand il fut assez remis pour se présenter à la compagnie, et faire sortir les paroles de son gosier brûlant.

— Souffrez que je vous dise un mot, Monsieur, dit Nicolas. — À moi, Monsieur ? répliqua sir Mulberry Hawk en le toisant d’un air de dédaigneuse surprise. — À vous, répondit Nicolas s’exprimant avec difficulté, car la colère l’étouffait. — Sur mon âme, voici un mystérieux étranger ! s’écria sir Mulberry en portant son verre à ses lèvres et en promenant les yeux sur ses amis. — Voulez-vous m’accorder quelques minutes d’entretien, ou vous y refusez-vous ?

Sir Mulberry cessa un moment de boire, et lui enjoignit de s’expliquer ou de se retirer. Nicolas tira sa carte de sa poche, et la lui jeta.

— Voilà, Monsieur, dit-il, vous devinerez ce que je vous veux.

Une expression passagère d’étonnement, mêlée d’un peu de confusion, parut sur la figure de sir Mulberry, mais il s’en rendit maître aussitôt, lança la carte à lord Verisopht, qui était assis en face de lui, prit un cure-dent, et le porta tranquillement à sa bouche.