Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
NICOLAS NICKLEBY.

Mais sir Mulberry, troublé par d’amples libations, aveuglé par l’entêtement, l’eut bientôt réduit au silence, et, pour s’épargner de nouveaux reproches, parut demander qu’on le laissât seul. En effet, le jeune homme et les deux autres se levèrent et se retirèrent un moment après.

Ils demeurèrent ainsi dans un silence complet pendant une heure ; Nicolas eût pensé que trois heures s’étaient écoulées, mais la sonnerie n’avait tinté que quatre fois. Par intervalles, il lançait autour de lui des regards de colère et d’impatience ; mais sir Mulberry était là, dans la même attitude, portant de temps en temps son verre à ses lèvres, considérant le mur d’un air distrait, comme s’il eût complètement ignoré la présence d’aucune personne vivante.

Enfin, il bâilla, s’allongea, se leva, s’approcha froidement de la glace, y jeta un coup d’œil, se retourna, et honora Nicolas d’un regard long et dédaigneux. Nicolas le regarda avec non moins de bonne volonté ; sir Mulberry haussa les épaules, sourit légèrement, sonna, et ordonna au garçon de lui apporter sa redingote.

Le garçon l’apporta, et tint la porte ouverte.

— Je n’ai plus besoin de vous, dit sir Mulberry, et il resta seul encore avec Nicolas.

Il fit plusieurs tours dans la chambre, en sifflant avec insouciance ; s’arrêta pour achever le dernier verre de bordeaux qu’il venait de se verser, mit son chapeau, l’arrangea devant la glace, tira ses gants, et sortit lentement. Nicolas, dont l’emportement allait jusqu’à la rage, s’élança de sa chaise et le suivit de si près, qu’avant que la porte eût tourné sur ses gonds derrière sir Mulberry, ils étaient côte à côte dans la rue.

Un cabriolet bourgeois attendait ; le groom ouvrit le tablier, et prit le cheval par la bride.

— Voulez-vous vous faire connaître à moi ? demanda Nicolas d’une voix étouffée. — Non, répliqua fièrement sir Mulberry. — Si vous vous fiez à la vitesse de votre cheval, vous vous abusez, dit Nicolas. Je vous suivrai, par le ciel, dussé-je me pendre au marchepied. — Vous recevrez des coups de fouet, si vous le faites. — Vous êtes un malhonnête homme, dit Nicolas. — Vous êtes un homme de rien, reprit sir Mulberry Hawk. — Je suis le fils d’un propriétaire de province, votre égal par la naissance et l’éducation, et votre supérieur en tout le reste, j’en suis convaincu. Je vous le répète, miss Nickleby est ma sœur. Voulez-vous ou non répondre de votre conduite brutale et inhumaine ? — À un champion digne de moi, oui ; à vous, non, reprit sir Mulberry en prenant les rênes. Rangez-vous. William, lâchez