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NICOLAS NICKLEBY.

pour le consoler ? — Son père y demeure, je crois, et d’autres gens aussi ; mais personne ne semble prendre soin du pauvre estropié. Je lui ai demandé bien souvent si je ne pouvais rien faire pour lui ; sa réponse est toujours la même : Rien. Dernièrement sa voix s’est affaiblie, mais je vois qu’il me fait encore la même réponse. Maintenant il ne peut plus quitter son lit, qu’on a placé près de la fenêtre, et où il passe tout le jour regardant tantôt le ciel, tantôt ses fleurs, qu’il essaye encore de cultiver et d’arroser de ses mains débiles. Le soir, quand il voit ma chandelle, il tire son rideau, et ne le referme que lorsque je suis couché. La certitude que je suis là semble lui tenir lieu de société ; et il m’arrive souvent de rester une heure et plus à ma fenêtre pour qu’il voie que je veille encore. Quelquefois je me lève la nuit pour regarder la triste et sombre lumière qui éclaire sa petite chambre, et je me demande s’il est éveillé ou endormi. La nuit ne tardera pas à venir où il s’endormira pour ne jamais se réveiller sur la terre. Nous n’avons jamais échangé une poignée de main, et cependant je le regretterais comme un vieil ami. Croyez-vous qu’il y ait dans la campagne des fleurs susceptibles de m’intéresser autant ? Cent espèces de fleurs choisies, appelées des noms latins les plus barbares, me donneraient-elles en se flétrissant sous mes yeux la moitié de la douleur que j’éprouverai quand ces vieux pots et ces vieilles bouteilles seront enlevés comme d’inutiles objets ? Vous parlez de la campagne ! Ne savez-vous pas que c’est à Londres seulement que je puis avoir une pareille vue sous la croisée de ma chambre à coucher ?

Après cette question, Tim se retourna, et feignant d’être absorbé dans ses comptes, profita pour essuyer ses yeux à la hâte d’un moment où il supposait que Nicolas regardait d’un autre côté.

Soit que ce matin-là les comptes de Tim fussent plus embrouillés qu’à l’ordinaire, soit que sa sérénité habituelle eût été troublée par ses souvenirs, il arriva que Nicolas, après avoir exécuté quelque commission, ayant demandé si M. Charles Cheeryble était seul, Tim répondit affirmativement sans la moindre hésitation.

— Alors, dit Nicolas, je vais lui porter cette lettre.

Et il se dirigea vers la chambre et frappa à la porte. On ne répondit point. Il frappa de nouveau, mais sans plus de succès.

— Il n’y est pas, se dit Nicolas ; je mettrai la lettre sur sa table.

Nicolas entra, et retourna promptement sur ses pas en voyant, à sa grande surprise, une jeune dame à genoux aux pieds de M. Cheeryble. M. Cheeryble la conjurait de se lever, et priait une troisième personne, qui semblait être la domestique de la jeune dame, de l’aider à persuader celle-ci.