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NICOLAS NICKLEBY.

malgré mes ordres. Gride, vous ferez bien d’entrer ici, mon commis est dehors et le soleil dans ma chambre, nous serons ici plus au frais ; y consentez-vous ? — Certainement, monsieur Nickleby, le lieu m’est indifférent.

La personne qui faisait cette réponse était un petit vieillard de soixante à soixante cinq ans, très-maigre, très-courbé, et légèrement contourné. Tout son extérieur exprimait la fourberie et la trompeuse soumission d’un chat, et sa figure indiquait la luxure, la finesse et l’avarice.

Tel était le vieil Arthur Gride, qui appartenait évidemment à la race dont Ralph Nickleby faisait partie. Il s’assit sur une chaise basse, et Ralph se perchant sur le tabouret de bureau, et posant ses mains sur ses genoux, le regarda du haut de sa grandeur.

— Eh ! comment vous êtes-vous porté ? dit Gride feignant de prendre le plus vif intérêt à la santé de Ralph. Je ne vous ai pas vu depuis… — Depuis fort longtemps, dit Ralph avec un sourire particulier qui exprimait qu’il savait fort bien que son ami ne lui rendait pas visite dans le seul but de le complimenter. Vous avez eu du bonheur aujourd’hui, car je rentrais juste au moment où vous tourniez le coin de la rue. — J’ai beaucoup de bonheur. — On le dit.

Le plus vieil usurier remua le menton, sourit ; mais il ne fit aucune observation et ils demeurèrent quelque temps sans parler. Chacun d’eux cherchait à prendre avantage sur l’autre.

— Allons, Gride, dit enfin Ralph, quel sujet vous amène ?

Gride parut charmé que Ralph entamât le premier la question d’affaires.

— Oh ! monsieur Nickleby, s’écria-t-il, vous êtes un homme bien hardi. — C’est votre conduite sournoise et timorée qui me fait paraître tel par le contraste. — Vous avez un profond génie, monsieur Nickleby, reprit le vieil Arthur. — Je n’ai pas besoin de toute ma profondeur, reprit Ralph, pour deviner ce que veulent dire vos compliments. Je vous ai vu flatter et cajoler d’autres personnes, et je me rappelle parfaitement à quoi cela menait. — Oh ! oh ! reprit Arthur en se frottant les mains, je vois avec plaisir que vous vous souvenez du vieux temps. — Ainsi, reprit Ralph, quel sujet vous amène ? — Voyez, s’écria Gride, le souvenir même du vieux temps ne peut lui faire oublier les affaires. — Vous ne parleriez pas du passé, dit Ralph, si vous n’aviez quelque projet en vue pour le présent. — Il se méfie même de moi dit le vieil Arthur en se levant. Non, il n’y a personne au monde qui approche de monsieur Nickleby ; c’est un géant au milieu de pygmées.