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NICOLAS NICKLEBY.

Ralph regarda le vieux fripon avec un sourire tranquille ; et Newman Noggs sentit son cœur faillir en voyant s’éloigner la perspective de son dîner.

— Enfin, reprit le vieil Arthur, il faut bien me conformer à son humeur, puisqu’il veut parler d’affaires, et ne point lui faire perdre son temps. Le temps est de l’argent. — C’est vrai, dit Ralph, surtout quand on s’en sert pour calculer les intérêts ; non-seulement le temps est de l’argent, mais encore il coûte de l’argent, et il a coûté gros à certaines gens que nous pourrions nommer, ou j’ai oublié mon métier.

Le vieil Arthur répondit à cette saillie par des éclats de rire et des exclamations d’enthousiasme. Puis il rapprocha sa chaise basse, et reprit en ces termes :

— Que diriez-vous si je vous apprenais que je vais me marier ? — Je dirais, répondit froidement Ralph, que je ne sais à quelle intention vous mentez, que ce n’est pas la première fois, et que ce ne sera pas la dernière. — Mais je vous parle très-sérieusement. — Et moi, je vous répète très-sérieusement ce que je viens de vous dire. — Je ne veux pas vous tromper, je ne le pourrais pas ; moi, tromper monsieur Nickleby, ce serait impossible ! Je vous demande donc encore ce que vous diriez si je vous apprenais que je vais me marier ? — À quelque vieille sorcière ? — Pas du tout ; cette fois vous êtes dans l’erreur. À une jeune fille charmante, fraîche, aimable. — Comment s’appelle-t-elle ? — Quel homme ! s’écria le vieil Arthur ; il sait que j’ai besoin de son appui, il sait qu’il peut me l’accorder, il sait que tout peut tourner à son avantage, il sait déjà toute l’affaire !… elle s’appelle… Personne ne peut-il nous entendre ? — Eh ! nous sommes seuls, repartit Ralph.

Arthur Gride alla regarder à la porte, et la referma avec soin.

— On pourrait, dit-il, passer dans l’escalier, ou votre commis, tenté par la curiosité, pourrait revenir et s’arrêter à la porte, et je serais fâché que M. Noggs… Elle s’appelle… — Eh bien ! dit Ralph irrité de ce que le vieil Arthur s’arrêtait encore, comment ? — Madeleine Bray.

Arthur Gride semblait s’être attendu à ce que ce nom produirait un effet quelconque sur Ralph. Néanmoins celui-ci ne donna aucun signe extérieur d’étonnement ; mais il répéta ce nom plusieurs fois, comme occupé à chercher dans quelles circonstances il l’avait déjà entendu.

— J’ai connu un jeune Bray, dit-il, mais il n’a jamais eu de fille. — Vous ne vous rappelez pas Bray ? demanda Arthur Gride. — Non. — Walter Bray, l’homme à la mode qui rendait sa femme si malheureuse. Bray qui est maintenant détenu pour dettes ; vous ne pouvez l’avoir oublié ; nous avons fait tous deux des affaires avec lui ; il vous doit même de l’argent. — Ah ! je sais de qui vous voulez parler. Et