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NICOLAS NICKLEBY.

Lorsqu’on se trouve dans cet état d’incertitude et de chagrin, on est disposé à flâner sans savoir pourquoi, à lire très-attentivement des affiches sans en comprendre un seul mot, et à regarder fixement à travers les vitres des boutiques des objets qu’on ne voit pas. Ce fut ainsi qu’en rentrant chez lui, Nicolas contempla avec le plus vif intérêt une énorme affiche appendue aux murs d’un petit spectacle. Il lut la liste des acteurs et des actrices qui s’étaient engagés à figurer dans un prochain bénéfice, et aperçut en tête de l’affiche écrit en gros caractère : Pour la dernière représentation, sans remise, de M. Vincent Crummles, si célèbre dans la province !!!

— Est-il possible ? se dit Nicolas.

C’était bien le nom de M. Crummles ; une première ligne était destinée à annoncer la représentation d’un mélodrame ; une seconde apprenait au public le rengagement d’un fameux jongleur africain ; une troisième, que M. Snittle Timberry, remis d’une grave indisposition, aurait l’honneur de paraître le soir même, et d’autres lignes que c’était la dernière représentation sans remise de M. Vincent Crummles, si célèbre dans la province.

— Sans doute, se dit Nicolas, ce doit être celui que j’ai connu ; il n’y en a pas deux pareils au monde.

La question fut éclaircie par un examen plus attentif de l’affiche. Dans la première pièce, le rôle de Roberto était rempli par M. Crummles aîné, et celui de Spalatro par M. Crummles jeune, paraissant pour la dernière fois. On avait intercalé pour eux, dans la pièce, une danse de caractère, et l’Enfant-Phénomène, paraissant pour la dernière fois, dansait le pas des castagnettes.

Nicolas n’eut plus de doutes, griffonna au crayon sur un morceau de papier le nom de M. Johnson, et fut conduit en présence de son ancien directeur par un brigand qui avait une large ceinture à boucle et des gantelets de cuir.

M. Crummles était placé devant un miroir. Il portait un sourcil fort touffu, planté au-dessus de son œil gauche, et tenait à la main son autre sourcil avec le mollet d’une de ses jambes. Enchanté de revoir Nicolas, il l’embrassa cordialement.

— Madame Crummles, dit-il, sera charmée de vous faire ses adieux avant de partir ; vous avez toujours été son favori. Je n’ai jamais été en peine de vous, depuis que je vous connais ; car tous ceux qui plaisent à madame Crummles sont sûrs de se tirer d’affaire.

— Je la remercie sincèrement de sa bienveillance pour moi, dit Nicolas. Mais où donc allez-vous ? — Ne l’avez-vous pas vu dans les journaux ? dit le directeur avec