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NICOLAS NICKLEBY.

put résister à l’envie de profiter de sa victoire. Il y avait là M. Pyke et M. Pluck, et il était important pour sir Mulberry de montrer qu’il n’avait rien perdu de son influence.

Ils dînèrent somptueusement. Comme pendant tout le jour, le vin coula à flots. Sir Mulberry but pour se dédommager de son abstinence récente, le jeune lord pour noyer son indignation, et le reste des convives parce que le vin était des meilleurs et ne leur coûtait rien.

Il était près de minuit quand ils se rendirent au jeu, échauffés, égarés par le vin, le sang bouillonnant et la cervelle en feu.

Ils rencontrèrent d’autres gens aussi ivres qu’eux-mêmes. L’excitation du jeu, la chaleur des saisons, l’éclat des lumières n’étaient pas propres à apaiser la fièvre qui les dévorait. Dans ce vertigineux tourbillon de bruit et de désordre, les hommes avaient le délire. Qui songeait à l’argent, au lendemain, à la misère future ? Ils demandaient du vin ; car celui qu’ils avaient bu ne faisait qu’augmenter la soif de leurs gosiers desséchés. Le vin ruisselait comme l’huile sur un brasier ardent, et bientôt la débauche fut à son comble. Les verres furent jetés sur le sol par des mains qui ne pouvaient plus les porter à leurs lèvres. Le tumulte avait atteint son apogée quand il s’éleva un bruit qui domina tous les autres, et deux hommes se saisissant à la gorge luttèrent au milieu du salon.

Une douzaine de voix qu’on n’avait pas encore entendues s’élevèrent pour demander qu’on séparât les combattants. Les joueurs de profession, qui avaient conservé leur sang-froid pour gagner, se jetèrent sur eux, et les entraînèrent dans un coin du salon.

— Lâchez-moi ! s’écria sir Mulberry ; il m’a frappé, entendez-vous ? il m’a frappé, vous dis-je ! N’ai-je point d’ami ici ? Westwood, il m’a frappé ! — J’entends, j’entends, répondit un de ceux qui le retenaient. Nous nous expliquerons demain matin. — Non, répliqua sir Mulberry en grinçant des dents ; qu’il m’en rende raison ce soir, à l’instant même !

L’excès de sa colère l’empêchait d’articuler ; nais il serrait les poings, s’arrachait es cheveux et trépignait.

— Qu’est-ce, milord ? dit un des assistants, y a-t-il des coups d’échangés ? — Je l’ai frappé, dit Verisopht, je le déclare devant tous ; je l’ai frappé, et il sait bien pourquoi. Je demande avec lui que cette querelle se vide à l’instant… Capitaine Adams, un mot, s’il vous plaît.