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NICOLAS NICKLEBY.

ans à l’époque de ces amours. Elle représenta leur union comme une chose arrangée entre les deux familles et prête à recevoir la sanction de l’Église à la satisfaction générale. Ce fut après avoir fait jouer cette dernière mine avec un succès extraordinaire que madame Nickleby, se trouvant un soir seule avec son fils, entreprit de le sonder sur le sujet qui occupait ses pensées, elle débuta par divers éloges de l’amabilité de M. Frank.

— Vous avez raison, ma mère, c’est un excellent garçon. — Et il a une jolie figure. — Assurément. — Quel genre de nez lui trouvez-vous ? — Comment ? — Oui, si je puis m’exprimer ainsi, de quel ordre d’architecture est son nez, est-il grec ou roman ? — Ni l’un ni l’autre, dit en riant Nicolas ; c’est plutôt un nez d’ordre composite. Au reste, je n’y ai jamais fait grande attention ; mais, si vous le désirez, je l’examinerai de plus près. — Vous me ferez plaisir. — Savez-vous, mon fils, que M. Frank a beaucoup d’attachement pour vous ? — Je suis charmé de l’apprendre et de savoir qu’il vous en a fait confidence. — Ah ! il y a bien d’autres choses dont il aurait besoin de me faire confidence. Il est extraordinaire, Nicolas, que vous n’ayez rien remarqué. Il est vrai que ce qui est évident pour les femmes échappe très-souvent aux hommes.

Nicolas moucha la chandelle, mit ses mains dans ses poches, et prit un air de douloureuse résignation.

— Je crois de mon devoir, poursuivit sa mère, de vous dire ce que je sais, non-seulement parce que vous avez le droit d’être informé de tout ce qui concerne la famille, mais encore parce que vous pouvez nous être d’un grand secours. Il y a beaucoup de choses que vous pouvez faire : telles que vous promener ou feindre de vous endormir, ou sortir avec M. Smike. Si vous étiez amoureux, vous sentiriez tout le prix d’un tête-à-tête que l’on vous ménagerait. Bien entendu qu’il ne faudrait pas avoir l’air de sortir exprès, et qu’en rentrant il importerait de tousser dans le corridor ; car les jeunes gens n’aiment pas à être brusquement interrompus dans leurs entretiens confidentiels.

Sans être déconcertée par le profond étonnement de son fils, madame Nickleby termina une harangue diffuse en établissant d’une manière positive que M. Frank Cheeryble était épris de Catherine.

— De qui ? — De Catherine. — Quoi ! de ma sœur, de votre Catherine ? — Mon Dieu, Nicolas, quelle Catherine serait-ce si ce n’était pas la nôtre, m’en inquiéterais-je s’il ne s’agissait de votre sœur ? — C’est impossible, ma mère. — Attendez et vous verrez, répondit madame Nickleby avec confiance. — Il est des circonstances