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NICOLAS NICKLEBY.

Les deux frères conférèrent ensemble un moment, et après les avoir regardés deux ou trois fois :

— Enfin, dit Ralph, qu’avez-vous à me dire ? Vous ne m’avez pas dérangé inutilement ? Est-ce que ma nièce est morte ? — Votre nièce se porte très-bien, répliqua Charles Cheeryble ; mais c’est un décès que nous avons à vous annoncer. — Serait-ce celui de son frère ? Oh ! non ! je ne le présume pas ; ce serait une trop heureuse nouvelle. — Honte sur vous, homme endurci et dénaturé ! s’écria Edwin avec chaleur ; préparez-vous à apprendre une nouvelle qui vous ferait frissonner si vous aviez le moindre sentiment humain. Faut-il vous dire qu’il s’agit d’un malheureux enfant étranger à ces joies de l’enfance qui nous en font garder la mémoire comme celle d’un heureux songe ? Faut-il vous dire qu’il s’agit d’une créature aimante et inoffensive, qui ne vous avait jamais fait de mal, mais qui, sacrifiée à votre haine pour votre neveu, a été en butte à vos persécutions ? Faut-il vous dire qu’après une vie courte d’années mais longue de souffrances, il est allé conter au ciel sa déplorable histoire, où vous avez joué un rôle dont vous répondrez un jour ? — Je vous pardonne tout le reste en faveur de ce que vous m’apprenez là, s’écria Ralph avec impétuosité. Je suis votre débiteur pour la vie. Il est mort ! qui donc triomphe, maintenant ? C’est donc là cette terrible nouvelle que vous étiez pressé de me communiquer ? Ah ! vous avez eu raison de m’envoyer chercher. J’aurais fait cent milles à pied, dans la boue et dans les ténèbres, pour être instruit à cette heure de cet événement.

Dans cet accès de joie sauvage, Ralph put remarquer encore sur les figures des deux frères une indéfinissable expression de pitié mêlée à l’horreur qu’ils éprouvaient.

Et c’est de l’homme qui est caché là que vous tenez cette nouvelle ? et il s’imagine m’en voir accablé ! ah ! ah ! ah ! Mais qu’il sache donc que je vivrai encore longtemps pour peser sur lui comme un cauchemar ; mais sachez donc que vous ne le connaissez pas encore, et que vous maudirez le jour où vous l’avez accueilli. — Vous me prenez pour votre neveu, dit une voix creuse. Il vaudrait mieux pour vous que ce fût lui.

La figure se montra lentement, et Ralph reconnut, non pas Nicolas, mais Brooker.

Ralph n’avait jamais redouté cet homme, mais on le vit pâlir et trembler.

— Que vient faire ici ce misérable ? reprit-il d’une voix étouffée ; savez-vous que c’est un voleur, un repris de justice ? — Qu’il soit ce qu’il voudra ! s’écrièrent les