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NICOLAS NICKLEBY.

s’asseoir auprès d’elle. La solennité de la circonstance expliquait non moins naturellement le soin qu’il avait apporté à sa toilette.

Il croisa les jambes, s’asseyant de manière à exposer ses pieds aux regards de miss la Creevy ; car il avait de jolis pieds, des souliers élégants et de superbes bas de soie noire.

— Ne pleurez pas. — Je ne puis m’en empêcher ; je suis trop heureuse. — Alors riez.

Il est impossible de conjecturer ce que Tim faisait de son bras, car il frappa de son coude la fenêtre, dont cependant miss la Creevy le séparait, et il est clair que son bras n’avait rien à faire là.

— Riez, ou je vais pleurer. — Pourquoi pleureriez-vous ? demanda miss la Creevy en souriant. — Parce que je suis heureux aussi. Nous sommes heureux tous deux, et je veux faire comme vous.

Certes, jamais homme ne se démena comme Tim en ce moment, car il frappa encore de son coude la fenêtre presque au même endroit, et miss la Creevy lui dit qu’il allait casser un carreau.

— Il est bien agréable pour des gens comme nous, qui ont passé seuls toute leur vie, de voir des jeunes gens que nous aimons unis pour de longues années. — Ah ! certainement, s’écria de tout son cœur la petite femme. — Quoique ça nous fasse sentir plus péniblement notre isolement et notre abandon, n’est-ce pas ?

Miss la Creevy dit qu’elle ne le savait pas, et elle eut tort, car elle devait le savoir.

— Ça devrait presque nous décider à nous marier ; qu’en dites-vous ? — Quelle folie ! Nous sommes trop vieux. — Pas du tout. Nous sommes trop vieux pour vivre seuls… Pourquoi ne nous marierions-nous pas ensemble ? Au lieu de passer de longues soirées d’hiver au coin de nos foyers solitaires, pourquoi n’en ferions-nous pas un seul foyer ? — Oh ! monsieur Linkinwater, vous plaisantez. — Non, vraiment ; si je vous conviens, vous me convenez. — Mais on se moquerait de nous. — Qu’on s’en moque ; nous avons un bon caractère, et nous rirons aussi. Avons-nous ri de bon cœur depuis que nous nous connaissons ? — C’est vrai. — Ç’a été le plus beau temps de ma vie, du moins le plus heureux que j’aie passé hors de la maison Cheeryble frères. Eh bien ! consentez-vous ? — Non, non ; il n’y faut pas songer. Que diraient vos patrons ? — Eh ! croyez-vous que j’aie pensé à me marier sans les consulter ? C’est à dessein qu’ils nous ont laissés seuls. — Je n’oserai plus les regarder en face. — Allons, entendons-nous. Nous habiterons la vieille maison où je