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NICOLAS NICKLEBY.

détestez-vous, ma chère ? — Que vous importe ? Si je le déteste, c’est assez ! n’est-ce pas ? — C’est même un peu trop, répondit Squeers d’un ton pacifique. Je le demandais seulement par curiosité, ma chère. — Eh bien ! si vous voulez le savoir, je vais vous le dire : c’est parce qu’il se donne des airs d’importance, parce qu’il est fier et hautain, parce que c’est un paon qui a toujours le nez en l’air.

Lorsque madame Squeers était en colère, elle avait l’habitude d’employer des expressions énergiques, et un grand nombre d’épithètes dont quelques-unes étaient des métaphores, telles que celle du paon, et l’allusion au nez de Nicolas. Ces métaphores ne devaient pas être prises à la lettre, et n’avaient souvent aucun rapport l’une avec l’autre. Ainsi un paon qui a toujours le nez en l’air est une nouveauté en ornithologie, et un animal que l’on ne voit pas ordinairement.

— Hein ! dit Squeers opposant la douceur à cette sortie furieuse, il ne coûte pas cher, mon amie ; il ne coûte pas cher du tout. — Qu’importe ? il coûte cher si vous n’en avez pas besoin. — Mais nous en avons besoin. — C’est ce qui me paraît douteux, monsieur Squeers. Vous pouvez mettre sur vos adresses et dans les annonces : Éducation par M. Wackford Squeers et des professeurs capables, sans avoir un seul professeur ; c’est reçu, tous les instituteurs se le permettent. Vous me faites perdre patience ! — Vraiment ! veuillez maintenant m’écouter, Madame : je veux dans de semblables affaires agir à ma fantaisie. On permet à un négrier des grandes Indes d’avoir un homme sous ses ordres, pour empêcher ses noirs de s’échapper ou de se révolter. Je tiens à avoir un homme sous mes ordres pour exercer sur nos noirs une surveillance analogue, en attendant que le petit Wackford soit capable de s’occuper de l’école. — Prendrai-je soin de l’école quand je serai plus grand, mon père ? dit Wackford jeune, qui, dans l’excès de sa joie, négligea de donner à sa sœur une petite bourrade qu’il lui destinait. — Oui, mon fils, répondit Squeers d’un ton sentimental. — Et je donnerai aux enfants des coups de ceci, s’écria l’intéressant enfant en empoignant la canne de son père ; et je les ferai crier[1].

Ce fut un beau moment dans la vie de M. Squeers que celui où il vit l’élan d’enthousiasme de son fils, et où il devina ce que l’enfant serait un jour.

Ce que miss Fanny entendit dire de Nickleby lui inspira le désir de le connaître, et dès le lendemain elle entra dans l’étude pour se faire tailler une plume ; n’y trou-


  1. Comme le lecteur le voit, ce n’est pas sans raison que les plus grands admirateurs de Dickens lui reprochent ces exagérations, ces invraisemblances ; même chez l’instituteur le plus exceptionnel, est-il possible de rencontrer rien d’aussi ignoble restant impuni ?
    (Note des Éditeurs.)