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NICOLAS NICKLEBY.

assez pour qu’il consentît à aller au lit, où il se mit avec ses bottes et un parapluie sous le bras.

La servante affamée vint, selon sa coutume, dans la chambre de mademoiselle Fanny pour lui faire ses papillotes, l’assister en sa toilette et la flatter de son mieux ; car mademoiselle Fanny avait assez de paresse, de vanité et de frivolité pour être une grande dame, et l’arbitraire distinction du rang et des positions était le seul obstacle qui l’en empêchât.

— Comme vos cheveux frisent bien ce soir, dit la camériste ; c’est vraiment dommage d’y toucher ! — Retenez votre langue, répondit mademoiselle Squeers en fureur.

Une expérience longue et chèrement acquise empêchait la servante de s’étonner des accès de mauvaise humeur de mademoiselle Fanny ; ayant une idée vague de ce qui s’était passé, elle changea de manière de se rendre agréable, et aborda la question indirectement.

— Eh bien ! Mademoiselle, dussiez-vous me tuer, je ne saurais m’empêcher de dire que je n’ai jamais vu personne avoir l’air aussi commun que mademoiselle Price aujourd’hui.

Mademoiselle Fanny soupira et se disposa à écouter.

— Je sais que j’ai tort de parler ainsi, Mademoiselle, poursuivit la femme de chambre, ravie de l’effet qu’elle produisait, car mademoiselle Price est votre amie ; mais elle a une manière de s’habiller si extravagante, elle cherche à attirer l’attention par des moyens si recherchés que… oh ! l’on devrait bien se connaître soi-même. — Que voulez-vous dire, Phébé ? demanda mademoiselle Fanny. — Elle est si vaine, et en même temps… si laide. — Pauvre Mathilde ! dit mademoiselle Fanny avec un soupir de compassion. — Et elle cherche toujours à se faire admirer. C’est bien peu délicat. — Phébé, je ne saurais supporter vos propos ; Mathilde est en relation avec des gens de la basse classe, et, si elle ne se tient pas mieux, c’est leur faute et non la sienne. — Bien ; mais vous le savez, Mademoiselle, si seulement elle voulait prendre modèle sur une amie, si seulement elle reconnaissait ses torts et se corrigeait d’après vous, quelle charmante jeune femme elle pourrait devenir ! — Phébé, reprit mademoiselle Squeers d’un air imposant, il n’est pas convenable que j’entende établir de semblables parallèles ; ils tendent à présenter Mathilde comme une personne mal élevée, et c’est de ma part peu amical de les écouter. Je préfère que vous changiez de conversation, Phébé ; en même temps je dois dire que, si Mathilde Price prenait modèle sur quelqu’un, mais non pas sur moi en particulier…