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NICOLAS NICKLEBY.

s’animant à chaque coup de l’idée qu’il avait repoussé ses avances, et communiquant ainsi une nouvelle force à un bras qui n’était pas des plus faibles.

Dans l’excès de son exaspération, Nicolas ne sentit pas plus les coups que si on l’eût chatouillé avec des plumes ; mais, fatigué du vacarme, et sentant que son bras s’affaiblissait, il épuisa tout ce qui lui restait de vigueur pour repousser Squeers loin de lui. Le maître d’école entraîna sa femme dans sa chute, se heurta la tête contre un banc, et demeura sans mouvement sur le carreau.

Après avoir amené les choses à cette conclusion, et s’être assuré à son grand plaisir que Squeers n’était qu’étourdi, point sur lequel il avait eu d’abord quelques désagréables doutes, Nicolas laissa le maître d’école aux soins de sa famille, et se retira pour réfléchir à ce qu’il devait faire. Il chercha Smike avec inquiétude, mais celui-ci avait disparu.

Après de courtes réflexions, Nicolas fourra quelques hardes dans une petite valise de cuir, et comme personne ne s’opposait à ses projets, il marcha hardiment vers la grande porte, et se trouva bientôt après sur la grande route de Greta-Bridge. Quand il fut assez calme pour examiner attentivement sa position présente, elle ne se présenta pas sous un jour bien encourageant, car il n’avait que cinq francs dans sa poche, et était à environ soixante-dix lieues de Londres. Cependant il résolut de diriger ses pas vers cette ville, afin de savoir, entre autres choses, quel récit de son aventure M. Squeers transmettrait à son cher oncle.

Cette résolution prise, il aperçut en levant les yeux un cavalier qui venait droit à lui. À son grand chagrin, il le reconnut pour M. John Browdie, qui, le corps entouré de cordes et en guêtres de cuir, pressait son coursier au moyen d’un énorme bâton de frêne récemment arraché à quelque vigoureux plantard.

— Je ne suis pas d’humeur à me disputer, pensa Nicolas, et cependant il faut que j’aie une explication avec cet honnête lourdaud, et que je reçoive peut-être un ou deux coups de ce bâton.

Tel en effet semblait devoir être le résultat de la rencontre, car dès que John Browdie eut vu Nicolas, il arrêta son cheval près du bord de la route et attendit le sous-maître, auquel il lançait un regard sévère entre les deux oreilles de l’animal.

— Votre serviteur, mon jeune ami, dit John. — À vos ordres, dit Nicolas. — Eh bien ! nous nous retrouvons enfin, reprit John en faisant sonner l’étrier sous le rude contact de son bâton. — Oui, répondit Nicolas avec hésitation. Allons, ajouta-t-il après un moment de silence, nous ne nous sommes pas séparés très-bons amis lors de notre dernière entrevue : c’était ma faute, je crois ; mais n’avais ni l’intention