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NICOLAS NICKLEBY.

et jeta les yeux autour de lui pour s’assurer de l’impression qu’avait produite son apparition inattendue.

On annonça que le dîner était servi. Sir Mulberry Hawk, dans un accès de gaieté, passa adroitement devant lord Frédéric Verisopht, qui allait offrir son bras à Catherine, et la conduisit à la salle à manger avec un air de familiarité qui souleva dans son sein une indignation qu’elle put à peine réprimer. Ces sentiments ne furent nullement diminués quand elle se trouva placée au haut bout de la table, ayant sir Mulberry Hawk et lord Verisopht à ses côtés.

Le dîner fut aussi remarquable que la maison par l’éclat et la multiplicité des services, et la société fut remarquable par la manière dont elle y fit honneur. MM. Pyke et Pluck se signalèrent particulièrement ; ils mangèrent de tous les plats et burent de toutes les bouteilles avec une capacité et une persévérance vraiment étonnantes. L’exercice ne diminua pas leurs heureuses dispositions ; car, à l’apparition du dessert, ils tombèrent dessus, comme si aucune sérieuse escarmouche gastronomique n’eût eu lieu depuis le déjeuner.

— Eh bien ! dit lord Frédéric en savourant son premier verre de porto, si c’est un dîner d’escompteurs, il y aurait du plaisir à faire escompter des billets tous les jours. — On vous en escomptera, répondit sir Mulberry Hawk. — Qu’en dites-vous, Nickleby ? demanda le jeune homme : aurez-vous ma pratique ? — Cela dépend entièrement des circonstances, mylord. — Des circonstances où se trouvera Votre Seigneurie, et des courses de chevaux, interrompt le colonel Chauser.

Le brave colonel regarda MM. Pyke et Pluck, et parut s’attendre à les voir rire de sa plaisanterie ; mais ceux-ci, n’étant engagés à rire que par sir Mulberry Hawk, demeurèrent, à son grand dépit, aussi graves que deux entrepreneurs des pompes funèbres. Pour ajouter à sa défaite, sir Mulberry, considérant la plaisanterie comme un empiétement sur ses privilèges, regarda fixement le coupable à travers son verre, comme s’il eût été étonné de cet excès d’audace, et déclara à haute voix que c’était prendre une liberté du diable. Puis il vida son verre et contempla l’objet de ce reproche comme si c’eût été quelque animal extraordinaire qu’on eût fait voir pour la première fois. Bien entendu que MM. Pyke et Pluck regardèrent l’individu que sir Mulberry Hawk regardait ; et le pauvre colonel, pour cacher sa confusion, se vit réduit à la nécessité de tenir son verre de porto devant son œil droit, et de feindre d’en examiner la couleur avec le plus vif intérêt.

Pendant ce temps, Catherine demeurait aussi silencieuse qu’elle le pouvait, osant