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BAI

à ce Prince avant qu’un Croate, à ce que rapporte Busbequius dans sa première lettre ; sous prétexte de vouloir parler, eût tué Amurar, pour venger la mort d’un Despote de Servie, nommé Maro, qui étoit son Maître ; depuis on ne lui baisoit plus qu’une longue manche de sa veste faite exprès ; & MM. de Césy & De Marcheville ont encore eu cet honneur ; mais aujourd’hui les Ambassadeurs ne lui dont la révérence que de loin, comme les autres de leur suite. Du Loir, pag. 88. Busbequius, dans sa première lettre, ne dit pas que l’attentat de ce Croate ait été cause de ce qu’on ne baise plus la main du Grand-Seigneur, mais que ce que les Tchaoux tiennent l’Ambassadeur par le bras.

On dit proverbialement au féminin, qu’un homme est venu à belle baise-mains faire ou demander quelque chose ; pour dire, qu’il a été contraint par la nécessité de venir faire des soumissions pour l’obtenir. Cette façon de parler est du style simple & familier ; il n’y a qu’en cette phrase consacrée, que le mot de baise-main est féminin.

On dit encore proverbialement, jamais tant de baise-mains & si peu d’offrandes. Voici ce que Pierre de S. Julien dit de ce proverbe, dans ses Ant. des Bourguignons, p. 132. Depuis que les Rois ont permis être appelés Majestés servis à tête nue, & à baise-mains : non tant seulement les Princes, mais aussi les Gentilshommes à simple semelle, les Nobles de bas alloi, les Dames mal damnées, & Damoiselles de trois leçons, ont voulus être servis à la royale. Donc est advenu que nous autres pauvres gens d’Eglise avons appris à dire, qu’on ne vied jamais tant de baise-mains & si peu d’offrandes.

Guevara blâme l’usage es baise-mains, estimant qu’il est contre la bienséance de baiser une chose qui est quelquefois employée à de si sales usages. Cette pensée est bien extraordinaire. L’usage décide contre cet Auteur, & la coutume des baise-mains est autorisée par tous les Anciens, qui ont toujours regardé le baiser des mains comme une marque de respect & de profonde vénération. C’est même dans l’Ecriture une marque d’adoration ; & Job, 'XXXI, 27, pour dire qu’il n’a point adoré le soleil & la lune, dit qu’il n’a point baisé sa main en les voyant, ce qui est, ajoute-t-il, un très-grand crime, & la même chose que de nier le Dieu très-haut, c’est-à-dire, que ce seroit en reconnoître & adorer d’autres que lui.

☞ Dans l’Eglise même, les Evêques & les Officians donnent leur main à baiser aux autres Ministres qui les servent à l’Autel.

☞ Dans la société, l’action de baiser la main, a toujours été regardée comme une marque de vénération, de respect pour ses supérieurs.

BAISEMENT. s. m. Action de baiser. Osculatio, basiatio. Il ne se dit guère que de la cérémonie où l’on baise les pieds du Pape. Il a été introduit au baisement des pieds de sa Sainteté. Le baisement de la terre est une espèce d’hommage que les Rois de Perse se faisoient rendre, non-seulement par leurs sujets, mais encore par les Princes leurs vassaux, ou leurs feudataires, & qu’ils appellent Zemin bouz, c’est-à-dire, baisement de la terre, ou Roui Zemin, qui signifie la face contre terre. Elle est encore en usage parmi les Persans, aussi bien que le Pabous, qui est le baisement des pieds, que les Espagnols ont introduit parmi eux dans les lettres qu’ils écrivent aux gens d’une grande qualité, au lieu de baise-main. D’Herb.

Baisement, en géométrie. Voyez Baiser.

BAISER. s. m. Action de respect ou de soumission qu’on fait par l’application de la bouche sur une chose qu’on révère, ou qu’on aime. Osculum, suavium, bastum. Le baiser, dit S. Ambroise, est une marque d’amitié, un gage précieux de charité, & c’est un sacrilége d’en abuser. Rochef. On donne le baiser de paix en plusieurs cérémonies ecclésiastiques. S. Benoît veut qu’en recevant les hôtes dans ses monastères, on leur donne le baiser de paix ; il veut aussi que les freres, avant que de recevoir la Communion, se donnent le baiser de paix : ces usages étoient fondés sur la coutumes des premiers Chrétiens : mais ils ont été abolis depuis que les Chrétiens ne sont plus si simples qu’ils étoient dans les premiers temps. L’Auteur du Livre de l’amitié, qu’on trouve parmi les œuvres de saint Augustin, distingue quatre sortes de baisers. Le premier se donne pour marque de réconciliation, car on fait baiser & embrasser les ennemis quand on les a réconciliés. Le second est le baiser de paix que les Chrétiens se donnoient dans l’Eglise au temps de la Communion, pour faire voir par cette marque extérieure la paix intérieure qui les unissoit. Le troisième est le baiser d’amour que se donnent ceux qui s’aiment, qui n’ont point de moyen plus efficace pour se témoigner leur tendresse. Le quatrième est le baiser de la foi, qui se donnoit entre les Catholiques, & c’est celui qui se donnoit entre les Catholiques, & c’est celui qui se donnoit quand on exerçoit l’hospitalité. D. Joseph Mege. De rancé. Il y a des pays où l’on baise la main, pour marquer son respect, sa soumission & son attachement. Les Grands en Espagne le pratiquent à l’égard du Roi. Jornand de Saxe remarque que c’étoit la pratique des Hermites, qui avoient introduit le baiser de la main, au lieu de celui de la bouche. Un baiser de Judas est un baiser de traître. On dit en amour, cueillir un baiser, dérober un baiser. Les Hollandoises peuvent souffrir un baiser sans risques et impunément ; elles n’y entendent point de finesse. Bail. Horace fait chanter un baiser cueilli sur les lèvres d’Iris. S. Evr. Le baiser que j’ai pris, je suis prêt à le rendre. Voit.

Un baiser bien souvent se donne à l’aventure,
Mais ce n’est pas en bien user ;
Il faut que le désir & l’espoir l’assaisonne ;
Et pour moi je veux qu’un baiser
Me promette plus qu’il ne donne. La Sabl.

Mais il faut remarquer que les Latins ont des mots différens pour marquer la différence des baisers. Ils appeloient osculum un baiser fait entre amis ; basium un baiser fait par honnêteté ; & suavium, un baiser d’amant.

La coutume de donner un baiser est très-ancienne. Les différentes occasions où l’usage est de donner le baiser, outre celles qu’on a déjà marquées, sont les salutations de civilité, les épousailles, les installations, ou réceptions dans un corps ; en recevant l’hommage d’un vassal, comme il paroît par d’anciens titres. Voyez l’Hist. de Bret. T. B., pag. 811, & Chorier, Hist. de Dauphine, p. 842, & dans les donations qu’on faisoit, Hist. de Bret. p. 213, 247. Le baiser qui se donnoit dans les hommages, est appelé dans les anciens actes, Osculum pacis & amoris ; & l’acte de l’hommage rendu par Beatrix de Viennois, Dame d’Arlay, au Dauphin Himbert II, son neveu, le 16 Avril 1340, porte que ce fut complosis manibus & oris osculo, les mains jointes & par un baiser. Chorier. C’étoit la coutume autrefois de ne se point donner le baiser dans les temps de jeûne. A Rome c’étoit une coutume qui duroit encore du temps de Plutarque, que les femmes saluassent leurs parens & leurs amis en les baisant à la bouche. On disoit, au rapport de Plutarque dans Romulus, que les Troyennes sauvées avec leurs maris du sac de Troye, & abordées en Toscane, brûlerent leurs vaisseaux pour leur ôter l’envie de se mettre en mer ; & qu’elles saluerent & caresserent ainsi leurs maris, en les priant d’apaiser leur colère. D’autres font cette coutume moins ancienne, & disent qu’elle fut établie pour s’assûrer que les Dames Romains ne buvoient point de vin. Plutarque.

Le baiser des pieds, Pabous, est une cérémonie fort ancienne chez les Persans, instituée par Caioumarath leur premier Roi, pour marque non-seulement du respect que les sujets rendoient à leur Prince, mais encore de la foi & hommage que les Princes vassaux lui faisoient. Cette cérémonie fut changée depuis à l’égard des sujets de basse condition en celle de baiser la terre en présence de leurs Princes. D’Herb. au mot Pabous.

Baiser, se dit figurément & poëtiquement des influences & de l’action des astres sur les plantes, sur les fleurs, &c.