Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/199

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tous ? encore moins ; car d’où leur viendrait ce privilège exclusif ? Si Pacôme[1] a bien fait de rompre avec le genre humain pour s’enterrer dans une solitude, il ne m’est pas défendu de l’imiter : en l’imitant, je serai tout aussi vertueux que lui ; et je ne devine pas pourquoi cent autres n’auraient pas le même droit que moi. Cependant il ferait beau voir une province entière, effrayée des dangers de la société, se disperser dans les forêts ; ses habitants vivre en bêtes farouches pour se sanctifier ; mille colonnes élevées sur les ruines de toutes affections sociales ; un nouveau peuple de stylites[2] se dépouiller, par religion, des sentiments de la nature, cesser d’être hommes, et faire les statues pour être vrais chrétiens.

VII.

Quelles voix ! quels cris ! quels gémissements ! Qui a renfermé dans ces cachots tous ces cadavres plaintifs ? Quels crimes ont commis tous ces malheureux ? Les uns se frappent la poitrine avec des cailloux ; d’autres se déchirent le corps avec des ongles de fer ; tous ont les regrets, la douleur et la mort dans les yeux. Qui les condamne à ces tourments ?… Le Dieu qu’ils ont offensé… Quel est donc ce Dieu ? Un Dieu plein de bonté… Un Dieu plein de bonté trouverait-il du plaisir à se baigner dans les larmes ! Les frayeurs ne feraient-elles pas injure à sa clémence ? Si des criminels avaient à calmer les fureurs d’un tyran, que feraient-ils de plus ?

VIII.

Il y a des gens dont il ne faut pas dire qu’ils craignent Dieu, mais bien qu’ils en ont peur.

IX.

Sur le portrait qu’on me fait de l’Être suprême, sur son penchant à la colère, sur la rigueur de ses vengeances, sur

  1. Pacôme, instituteur de la règle des Cénobites, au commencement du IVe siècle. (Br.)
  2. Stylite, de στύλος colonne qui est sur une colonne, qui vit sur une colonne, comme saint Siméon. (Br.)