Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/444

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Vita quoque omnis
Omnibus e nervis atque ossibus exsolvatur.

Lucret., de Rerum nat., lib. I, vers 810 — 811.

Longo sed proximus intervallo.

Virgil., Æneid, lib. V, vers 320.


Ainsi, dans la musique, il faut quelquefois dérouter l’oreille, pour surprendre et contenter l’imagination. On pourrait observer aussi, qu’au lieu que les licences dans l’arrangement des mots ne sont jamais permises qu’en faveur de l’harmonie du style, les licences dans l’harmonie musicale ne le sont, au contraire, souvent que pour faire naître plus exactement, et dans l’ordre le plus naturel, les idées que le musicien veut exciter.

Il faut distinguer, dans tout discours en général, la pensée et l’expression ; si la pensée est rendue avec clarté, pureté et précision, c’en est assez pour la conversation familière ; joignez à ces qualités le choix des termes avec le nombre et l’harmonie de la période, et vous aurez le style qui convient à la chaire ; mais vous serez encore loin de la poésie, surtout de la poésie que l’ode et le poëme épique déploient dans leurs descriptions. Il passe alors dans le discours du poëte un esprit qui en meut et vivifie toutes les syllabes. Qu’est-ce que cet esprit ? j’en ai quelquefois senti la présence ; mais tout ce que j’en sais, c’est que c’est lui qui fait que les choses sont dites et représentées tout à la fois ; que dans le même temps que l’entendement les saisit, l’âme en est émue, l’imagination les voit et l’oreille les entend, et que le discours n’est plus seulement un enchaînement de termes énergiques qui exposent la pensée avec force et noblesse, mais que c’est encore un tissu d’hiéroglyphes entassés les uns sur les autres qui la peignent. Je pourrais dire, en ce sens, que toute poésie est emblématique.

Mais l’intelligence de l’emblème poétique n’est pas donnée à tout le monde ; il faut être presque en état de le créer pour le sentir fortement. Le poëte dit :


Et des fleuves français les eaux ensanglantées
Ne portaient que des morts aux mers épouvantées.

Voltaire, Henriade, chant ii, vers 357.


Mais, qui est-ce qui voit, dans la première syllabe de por-