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ENTRETIEN
ENTRE
D’ALEMBERT ET DIDEROT


D’ALEMBERT.

J’avoue qu’un Être qui existe quelque part et qui ne correspond à aucun point de l’espace ; un Être qui est inétendu et qui occupe de l’étendue ; qui est tout entier sous chaque partie de cette étendue ; qui diffère essentiellement de la matière et qui lui est uni ; qui la suit et qui la meut sans se mouvoir ; qui agit sur elle et qui en subit toutes les vicissitudes ; un Être dont je n’ai pas la moindre idée ; un Être d’une nature aussi contradictoire est difficile à admettre. Mais d’autres obscurités attendent celui qui le rejette ; car enfin cette sensibilité que vous lui substituez, si c’est une qualité générale et essentielle de la matière, il faut que la pierre sente.

DIDEROT.

Pourquoi non ?

D’ALEMBERT.

Cela est dur à croire.

DIDEROT.

Oui, pour celui qui la coupe, la taille, la broie et qui ne l’entend pas crier.

D’ALEMBERT.

Je voudrais bien que vous me disiez quelle différence vous mettez entre l’homme et la statue, entre le marbre et la chair.

DIDEROT.

Assez peu. On fait du marbre avec de la chair, et de la chair avec du marbre.