Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/117

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D’ALEMBERT.

Assurément. Quelque ressemblance qu’il y ait entre la forme extérieure de l’homme et de la statue, il n’y a point de rapport entre leur organisation intérieure. Le ciseau du plus habile statuaire ne fait pas même un épiderme. Mais il y a un procédé fort simple pour faire passer une force morte à l’état de force vive ; c’est une expérience qui se répète sous nos yeux cent fois par jour ; au lieu que je ne vois pas trop comment on fait passer un corps de l’état de sensibilité inerte à l’état de sensibilité active.

DIDEROT.

C’est que vous ne voulez pas le voir. C’est un phénomène aussi commun.

D’ALEMBERT.

Et ce phénomène aussi commun, quel est-il, s’il vous plaît ?

DIDEROT.

Je vais vous le dire, puisque vous en voulez avoir la honte. Cela se fait toutes les fois que vous mangez.

D’ALEMBERT.

Toutes les fois que je mange !

DIDEROT.

Oui ; car en mangeant, que faites-vous ? Vous levez les obstacles qui s’opposaient à la sensibilité active de l’aliment. Vous l’assimilez avec vous-même ; vous en faites de la chair ; vous l’animalisez ; vous le rendez sensible ; et ce que vous exécutez sur un aliment, je l’exécuterai quand il me plaira sur le marbre.

D’ALEMBERT.

Et comment cela ?

DIDEROT.

Comment ? je le rendrai comestible.

D’ALEMBERT.

Rendre le marbre comestible, cela ne me paraît pas facile.

DIDEROT.

C’est mon affaire que de vous en indiquer le procédé. Je prends la statue que vous voyez, je la mets dans un mortier, et à grands coups de pilon…