Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/28

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XV.


Nous avons trois moyens principaux : l’observation de la nature, la réflexion et l’expérience. L’observation recueille les faits ; la réflexion les combine ; l’expérience vérifie le résultat de la combinaison. Il faut que l’observation de la nature soit assidue, que la réflexion soit profonde, et que l’expérience soit exacte. On voit rarement ces moyens réunis. Aussi les génies créateurs ne sont-ils pas communs.


XVI.


Le philosophe, qui n’aperçoit souvent la vérité que comme le politique maladroit aperçoit l’occasion, par le côté chauve, assure qu’il est impossible de la saisir, dans le moment où la main du manœuvre est portée par le hasard sur le côté qui a des cheveux. Il faut cependant avouer que parmi ces manouvriers d’expériences, il y en a de bien malheureux : l’un d’eux emploiera toute sa vie à observer des insectes, et ne verra rien de nouveau ; un autre jettera sur eux un coup d’œil en passant, et apercevra le polype[1], ou le puceron hermaphrodite[2].


XVII.


Sont-ce les hommes de génie qui ont manqué à l’univers ? nullement. Est-ce en eux défaut de méditation et d’étude ? encore moins. L’histoire des sciences fourmille de noms illustres ; la surface de la terre est couverte des monuments de nos travaux. Pourquoi donc possédons-nous si peu de connaissances certaines ? par quelle fatalité les sciences ont-elles fait si peu de progrès ? sommes-nous destinés à n’être jamais que des enfants ? j’ai déjà annoncé la réponse à ces questions. Les sciences abstraites ont

  1. Découvert et étudié par Trembley. Voyez Mémoires pour servir à l’histoire d’un genre de polypes d’eau douce à bras en forme de cornes. Leyde, 1744.
  2. Voyez Histoire des insectes, par M. de Réaumur. C’est Bonnet qui, en 1740, remarqua le premier ce fait de la reproduction singulière du puceron, appelée aujourd’hui parthénogenèse, parce qu’en réalité les êtres intermédiaires qui se produisent alors proviennent d’une fécondation antérieure et non de l’hermaphrodisme du puceron, comme on le croyait au moment de cette découverte. Voir aussi la Physiologie de Haller. La partie concernant la Génération a été traduite en français en 1774.