Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/32

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XXV.


Je dis analogue ou bizarre, parce que tout a son résultat dans la nature ; l’expérience la plus extravagante, ainsi que la plus raisonnée. La philosophie expérimentale, qui ne se propose rien, est toujours contente de ce qui lui vient ; la philosophie rationnelle est toujours instruite, lors même que ce qu’elle s’est proposé ne lui vient pas.


XXVI.


La philosophie expérimentale est une étude innocente, qui ne demande presque aucune préparation de l’âme. On n’en peut pas dire autant des autres parties de la philosophie. La plupart augmentent en nous la fureur des conjectures. La philosophie expérimentale la réprime à la longue. On s’ennuie tôt ou tard de deviner maladroitement.


XXVII.


Le goût de l’observation peut être inspiré à tous les hommes ; il semble que celui de l’expérience ne doive être inspiré qu’aux hommes riches.

L’observation ne demande qu’un usage habituel des sens ; l’expérience exige des dépenses continuelles. Il serait à souhaiter que les grands ajoutassent ce moyen de se ruiner, à tant d’autres moins honorables qu’ils ont imaginés. Tout bien considéré, il vaudrait mieux qu’ils fussent appauvris par un chimiste, que dépouillés par des gens d’affaires ; entêtés de la physique expérimentale qui les amuserait quelquefois, qu’agités par l’ombre du plaisir qu’ils poursuivent sans cesse et qui leur échappe toujours. Je dirais volontiers aux philosophes dont la fortune est bornée, et qui se sentent portés à la physique expérimentale, ce que je conseillerais à mon ami, s’il était tenté de la jouissance d’une belle courtisane :


Laïdem habeto, dummodo te Laïs non habeat[1].
  1. Mot d’Aristippe.