Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/230

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zaïd ; et tout occupé des détails immenses de la guerre, et des grandes opérations qu’il méditait pour la gloire du Congo, il n’eut jamais le moindre soupçon que Zermounzaïd le trahît et que Thélis lui fût infidèle.

« La guerre continua ; les armées rentrèrent en campagne, et nous reprîmes nos litières. Comme elles allaient très-lentement, insensiblement le corps de l’armée gagna de l’avance sur nous, et nous nous trouvâmes à l’arrière-garde. Zermounzaïd la commandait. Ce brave garçon, que la vue des grands périls n’avait jamais écarté du chemin de la gloire, ne put résister à celle du plaisir. Il abandonna à un subalterne le soin de veiller aux mouvements de l’ennemi qui nous harcelait, et passa dans notre litière ; mais à peine y fut-il, que nous entendîmes un bruit confus d’armes et de cris. Zermounzaïd, laissant son ouvrage à demi, veut sortir ; mais il est étendu par terre, et nous restons au pouvoir du vainqueur.

« Je commençai donc par engloutir l’honneur et les services d’un officier qui pouvait attendre de sa bravoure et de son mérite les premiers emplois de la guerre, s’il n’eût jamais connu la femme de son général. Plus de trois mille hommes périrent en cette occasion. C’est encore autant de bons sujets que nous avons ravis à l’État. »

Qu’on imagine la surprise de Mangogul à ce discours ! Il avait entendu l’oraison funèbre de Zermounzaïd, et il ne le reconnaissait point à ces traits. Erguebzed son père avait regretté cet officier : les nouvelles à la main, après avoir prodigué les derniers éloges à sa belle retraite, avaient attribué sa défaite et sa mort à la supériorité des ennemis, qui, disaient-elles, s’étaient trouvés six contre un. Tout le Congo avait plaint un homme qui avait si bien fait son devoir. Sa femme avait obtenu une pension : on avait accordé son régiment à son fils aîné, et l’on promettait un bénéfice au cadet.

Que d’horreurs ! s’écria tout bas Mangogul ; un époux déshonoré, l’État trahi, des citoyens sacrifiés, ces forfaits ignorés, récompensés même comme des vertus, et tout cela à propos d’un bijou !

Le bijou de Thélis, qui s’était interrompu pour reprendre haleine, continua : « Me voilà donc abandonné à la discrétion de l’ennemi. Un régiment de dragons était prêt à fondre sur nous. Thélis en parut éplorée, et ne souhaita rien tant ; mais les