Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/234

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de l’anglais, de la géométrie, des prétintailles, et des falbalas.

— Mirzoza, répliqua le sultan en secouant la tête, n’a pas là-dessus toutes les lumières possibles ; et les bijoux…

— Votre Hautesse ne va-t-elle pas s’imaginer, dit la favorite, qu’elle apprendra du bijou d’Haria pourquoi cette femme, qui a vu mourir son fils, une de ses filles et son époux sans verser une larme, a pleuré pendant quinze jours la perte de son doguin ?

— Pourquoi non ? répondit Mangogul.

— Vraiment, dit Mirzoza, si nos bijoux pouvaient expliquer toutes nos fantaisies, ils seraient plus savants que nous-mêmes.

— Et qui vous le dispute ? repartit le sultan. Aussi crois-je que le bijou fait faire à une femme cent choses sans qu’elle s’en aperçoive ; et j’ai remarqué dans plus d’une occasion, que telle qui croyait suivre sa tête, obéissait à son bijou. Un grand philosophe[1] plaçait l’âme, la nôtre s’entend, dans la glande pinéale. Si j’en accordais une aux femmes, je sais bien, moi, où je la placerais.

— Je vous dispense de m’en instruire, reprit aussitôt Mirzoza.

— Mais vous me permettrez au moins, dit Mangogul, de vous communiquer quelques idées que mon anneau m’a suggérées sur les femmes, dans la supposition qu’elles ont une âme. Les épreuves que j’ai faites de ma bague m’ont rendu grand moraliste. Je n’ai ni l’esprit de La Bruyère, ni la logique de Port-Royal, ni l’imagination de Montaigne, ni la sagesse de Charron ; mais j’ai recueilli des faits qui leur manquaient peut-être.

— Parlez, prince, répondit ironiquement Mirzoza : je vous

  1. René Descartes ? Galien avait déjà fixé le siège de l’âme dans la glande pinéale. Il prétendait qu’elle pouvait être tantôt inclinée d’un côté et tantôt de l’autre par les filaments qui l’attachaient aux parties voisines, et par là qu’elle présidait à la distribution des esprits. Anat. de Galien par Oribase, édit. de Dundas, 1735.

    Mais Descartes a présenté cette opinion sous une nouvelle forme *, quoiqu’elle soit la même pour le fond. Ce philosophe a fait sur ce siège une espèce de roman qu’on a lu dans le monde avec plaisir ; et ce n’est pas la seule fois que les écrivains se sont emparés des opinions des médecins ; cependant le peu de fondement de celle-ci est démontré par les observations pathologiques, qui prouvent qu’on a trouvé le corps pinéal désorganisé dans des sujets qui avaient eu beaucoup d’instruction et d’esprit, et qu’il était dans l’état sain chez d’autres, reconnus stupides. Le célèbre Pic de la Mirandole, ce jeune enfant dont on a raconté tant de prodiges, avait le corps pinéal gros et très-dur, graveleux, quoiqu’il n’eût éprouvé, avant de mourir, aucun altération dans ses facultés intellectuelles. (Br.) — La fonction de ce petit organe est encore inconnue.

    * Voyez l’homme, de René Descartes, p. 32, édition de Paris, 1677, in-4o. (Br.)