Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/241

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béante, il fronçait le mufle, et présentait à l’ennemi deux rangs de dents des plus aiguës. Sindor lui livra plus d’un assaut ; plus d’une fois Médor le repoussa, les doigts pincés et les manchettes déchirées. L’action avait duré plus d’un quart d’heure avec une opiniâtreté qui n’amusait qu’Haria, lorsque Sindor recourut au stratagème contre un ennemi qu’il désespérait de vaincre par la force. Il agaça Médor de la main droite. Médor, attentif à ce mouvement, n’aperçut point celui de la gauche, et fut pris par le col. Il fit pour se dégager des efforts inouïs, mais inutiles ; il fallut abandonner le champ de bataille, et céder Haria. Sindor s’en empara, mais non sans effusion de sang ; Haria avait apparemment résolu que la première nuit de ses noces fût sanglante. Ses animaux firent une belle défense, et ne trompèrent point son attente. »

« Voilà, dit Mangogul, un bijou qui écrirait la gazette mieux que mon secrétaire. » Sachant alors à quoi s’en tenir sur les gredins, il revint chez la favorite. « Apprêtez-vous, lui dit-il, du plus loin qu’il l’aperçut, à entendre les choses du monde les plus extravagantes. C’est bien pis que les magots de Palabria. Pourrez-vous croire que les quatre chiens d’Haria ont été les rivaux, et les rivaux préférés de son mari ; et que la mort d’une levrette a brouillé ces gens-là, à n’en jamais revenir ?

— Que dites-vous, reprit la favorite, de rivaux et de chiens ? Je n’entends rien à cela. Je sais qu’Haria aime éperdument les gredins ; mais aussi je connais Sindor pour un homme vif, qui peut-être n’aura pas eu toutes les complaisances qu’exigent d’ordinaire les femmes à qui l’on doit sa fortune. Du reste, quelle qu’ait été sa conduite, je ne conçois pas qu’elle ait pu lui attirer des rivaux. Haria est si vénérable, que je voudrais bien que Votre Hautesse daignât s’expliquer plus intelligiblement.

— Écoutez, lui répondit Mangogul, et convenez que les femmes ont des goûts bizarres à l’excès, pour ne rien dire de pis. »

Il lui fit tout de suite l’histoire d’Haria, mot pour mot, comme le bijou l’avait racontée. Mirzoza ne put s’empêcher de rire du combat de la première nuit. Cependant reprenant un air sérieux :

« Je ne sais, dit-elle à Mangogul, quelle indignation s’empare de moi. Je vais prendre en aversion ces animaux et toutes celles qui en auront, et déclarer à mes femmes que je chasserai la première qui sera soupçonnée de nourrir un gredin.

— Eh pourquoi, lui répondit le sultan, étendre ainsi les