Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/276

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un modèle de sagesse ? Prince, vous n’en pouvez douter, et tout Banza le sait de votre bouche : or, s’il y a une femme sage, il peut y en avoir mille.

— Oh ! pour la possibilité, dit Mangogul, je ne la dispute point.

— Mais si vous convenez qu’elles sont possibles, reprit Mirzoza, qui vous a révélé qu’elles n’existaient pas ?

— Rien que leurs bijoux, répondit le sultan. Je conviens toutefois que ce témoignage n’est pas de la force de votre argument. Que je devienne taupe si vous ne l’avez pris à quelque bramine. Faites appeler le chapelain de la Manimonbanda, et il vous dira que vous m’avez prouvé l’existence des femmes sages, à peu près comme on démontre celle de Brama en Braminologie. Par hasard, n’auriez-vous point fait un cours dans cette sublime école avant que d’entrer au sérail ?

— Point de mauvaises plaisanteries, reprit Mirzoza. Je ne conclus pas seulement de la possibilité ; je pars d’un fait, d’une expérience.

— Oui, continua Mangogul, d’un fait mutilé, d’une expérience isolée, tandis que j’ai pour moi une foule d’essais que vous connaissez bien ; mais je ne veux point ajouter à votre humeur par une plus longue contradiction.

— Il est heureux, dit Mirzoza d’un ton chagrin, qu’au bout de deux heures vous vous lassiez de me persécuter.

— Si j’ai commis cette faute, répondit Mangogul, je vais tâcher de la réparer. Madame, je vous abandonne tous mes avantages passés ; et si je rencontre dans la suite des épreuves qui me restent à tenter, une seule femme vraiment et constamment sage…

— Que ferez-vous ; interrompit vivement Mirzoza…

— Je publierai, si vous voulez, que je suis enchanté de votre raisonnement sur la possibilité des femmes sages ; j’accréditerai votre logique de tout mon pouvoir, et je vous donnerai mon château d’Amara, avec toutes les porcelaines de Saxe dont il est orné, sans en excepter le petit sapajou en émail et les autres colifichets précieux qui me viennent du cabinet de Mme de Vérue[1].

— Prince, dit Mirzoza, je me contenterai des porcelaines, du château et du petit sapajou.

  1. Le cabinet et la bibliothèque de Mme de Verrue furent célèbres. La bibliothèque était surtout très-nombreuse et les livres aux armes de la comtesse sont encore assez recherchés.