Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/137

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extravagances quand on nous délaisse, vous en seriez trop vains. Je vous ai dit que cette femme avait de la fierté ; mais elle était bien autrement vindicative. Lorsque les premières fureurs furent calmées, et qu’elle jouit de toute la tranquillité de son indignation, elle songea à se venger, mais à se venger d’une manière cruelle, d’une manière à effrayer tous ceux qui seraient tentés à l’avenir de séduire et de tromper une honnête femme. Elle s’est vengée, elle s’est cruellement vengée ; sa vengeance a éclaté et n’a corrigé personne ; nous n’en avons pas été depuis moins vilainement séduites et trompées.

Jacques.

Bon pour les autres, mais vous !…

L’hôtesse.

Hélas ! moi toute la première ! Oh ! que nous sommes sottes ! Encore si ces vilains hommes gagnaient au change ! Mais laissons cela. Que fera-t-elle ? Elle n’en sait encore rien ; elle y rêvera ; elle y rêve.

Jacques.

Si tandis qu’elle y rêve…

L’hôtesse.

C’est bien dit. Mais nos deux bouteilles sont vides… (Jean. — Madame. — Deux bouteilles, de celles qui sont tout au fond, derrière les fagots. — J’entends.) — À force d’y rêver, voici ce qui lui vint en idée. Mme  de La Pommeraye avait autrefois connu une femme de province qu’un procès avait appelée à Paris, avec sa fille, jeune, belle et bien élevée. Elle avait appris que cette femme, ruinée par la perte de son procès, en avait été réduite à tenir tripot. On s’assemblait chez elle, on jouait, on soupait, et communément un ou deux des convives restaient, passaient la nuit avec madame ou mademoiselle, à leur choix. Elle mit un de ses gens en quête de ces créatures. On les déterra, on les invita à faire visite à Mme  de La Pommeraye, qu’elles se rappelaient à peine. Ces femmes, qui avaient pris le nom de Mme  et de Mlle  d’Aisnon, ne se firent pas attendre ; dès le lendemain, la mère se rendit chez Mme  de La Pommeraye. Après les premiers compliments, Mme  de La Pommeraye demanda à la d’Aisnon ce qu’elle avait fait, ce qu’elle faisait depuis la perte de son procès.

« Pour vous parler avec sincérité, lui répondit la d’Aisnon,