Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sur lesquelles on tenait des propos, et qui faisaient tort à leur fille, en écartant d’elle des partis avantageux qui pouvaient se présenter sans la crainte d’un refus.

Jacques.

Eh bien ! mon maître, Jacques a-t-il du nez ?

Le maître.

Le chevalier ajouta : « Dans une quinzaine ! le terme est assez court. Vous aimez, on vous aime ; dans quinze jours que ferez-vous ? » Je répondis net au chevalier que je me retirerais.

« Vous vous retirerez ! Vous n’aimez donc pas ?

— J’aime, et beaucoup ; mais j’ai des parents, un nom, un état, des prétentions, et je ne me résoudrai jamais à enfouir tous ces avantages dans le magasin d’une petite bourgeoise.

— Et leur déclarerai-je cela ?

— Si vous le voulez. Mais, chevalier, la subite et scrupuleuse délicatesse de ces gens-là m’étonne. Ils ont permis à leur fille d’accepter mes cadeaux ; ils m’ont laissé vingt fois en tête-à-tête avec elle ; elle court les bals, les assemblées, les spectacles, les promenades aux champs et à la ville, avec le premier qui a un bon équipage à lui offrir ; ils dorment profondément tandis qu’on fait de la musique ou de la conversation chez elle ; tu fréquentes dans la maison tant qu’il te plaît ; et, entre nous, chevalier, quand tu es admis dans une maison, on peut y en admettre un autre. Leur fille est notée. Je ne croirai pas, je ne nierai pas tout ce qu’on en dit ; mais tu conviendras que ces parents-là auraient pu s’aviser plus tôt d’être jaloux de l’honneur de leur enfant. Veux-tu que je te parle vrai ? On m’a pris pour une espèce de benêt qu’on se promettait de mener par le nez aux pieds du curé de la paroisse. Ils se sont trompés. Je trouve Mlle  Agathe charmante ; j’en ai la tête tournée : et il y paraît, je crois, aux effroyables dépenses que j’ai faites pour elle. Je ne refuse pas de continuer, mais encore faut-il que ce soit avec la certitude de la trouver un peu moins sévère à l’avenir.

« Mon projet n’est pas de perdre éternellement à ses genoux un temps, une fortune et des soupirs que je pourrais employer plus utilement ailleurs. Tu diras ces derniers mots à Mlle  Agathe, et tout ce qui les a précédés à ses parents… Il faut que