Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/187

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justice des choses peu avantageuses que la passion avait dictées à M. Diderot sur les ouvrages du comique italien. »

Étant donné que les étrangers — c’est l’essence de la politesse — ont toujours raison contre les Français, tout cela est bien, et il ne nous reste, pour revenir à notre sujet, qu’à citer encore les Mémoires secrets, à l’occasion de la représentation du Père de famille en 1769.

« 10 août. — Les comédiens français ont remis hier le Père de famille de M. Diderot. Ce drame très-pathétique a produit l’effet ordinaire de serrer le cœur et d’occasionner des larmes abondantes. On comptait autant de mouchoirs que de spectateurs. Des femmes se sont trouvées mal et jamais orateur chrétien n’a produit en chaire d’effet aussi théâtral. »

Le même succès de larmes est signalé en 1773 à Naples, par Galiani, dans une représentation devant le roi. « Nous avons ici, dit-il (16 janvier 1773), des comédiens français… Ils ont débuté par le Père de famille, parce que c’est de toutes les pièces du théâtre français celle dont le succès est le plus assuré dans toutes les villes d’Italie et d’Allemagne. Événement bien naturel et qui ne paraîtra étrange qu’à Fréron et à Paris. »

Le 23, Galiani écrit encore : « Ce qui paraîtra bien comique et tout à fait incroyable, c’est qu’avant de les entendre (dans la représentation donnée par les comédiens à la cour), le roi avait annoncé que ces Français ne lui plairaient pas, qu’ils l’ennuieraient ; car il aime à rire et non à pleurer. Il est arrivé que lorsqu’on jouait la pièce, tous les courtisans bâillaient, s’ennuyaient, prenaient du tabac, faisaient quelque bruit, pendant que leur roi fondait en larmes. »

Il nous faut arriver en 1811 pour assister à une réaction. Dans son feuilleton du 11 mars de cette année, Geoffroy s’écrie d’un air de triomphe : « On a sifflé le Père de famille. Oh ! mânes de Diderot ! quel outrage sanglant pour le grand dramaturge, pour le grand législateur de la tragédie bourgeoise ! Cet énergumène a, dit-on, écrit de belles pages, comme il arrive aux fous de faire de beaux rêves ; il a porté plus loin qu’aucun autre l’emphase et la jonglerie philosophiques. Son siècle en fut la dupe parce qu’il eut le bonheur de naître dans le siècle des charlatans. Plus tôt ou plus tard on eût pu lui donner pour Parnasse et pour théâtre les Petites-Maisons. Le Père de famille est regardé comme son chef-d’œuvre ; il fut joué dans un temps où les caricatures pathétiques étaient à la mode ; c’est une conception bizarre… Son peu de succès est une nouvelle preuve de notre retour au bon goût et aux idées saines. Ce drame est tombé avec la philosophie qui l’avait mis en crédit. Nous avons reconnu par une funeste expérience que quarante ans de déclamation et de pathos sur la sensibilité, l’humanité, la bienfaisance, n’avaient servi qu’à préparer les cœurs aux derniers excès de la barbarie. » (Journal de l’Empire.)