Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/226

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Sophie.

Bien pauvre. Avec cela, il n’en est point au monde dont j’aimasse mieux être la fille.

Le Père de famille.

Je vous loue de ce sentiment ; vous paraissez bien née… Et qu’était votre père ?

Sophie.

Mon père fut un homme de bien. Il n’entendit jamais le malheureux sans en avoir pitié ; il n’abandonna pas ses amis dans la peine ; et il devint pauvre. Il eut beaucoup d’enfants de ma mère ; nous demeurâmes tous sans ressource à sa mort… J’étais bien jeune alors… Je me souviens à peine de l’avoir vu… Ma mère fut obligée de me prendre entre ses bras, et de m’élever à la hauteur de son lit pour l’embrasser et recevoir sa bénédiction… Je pleurais. Hélas ! je ne sentais pas tout ce que je perdais !

Le Père de famille.

Elle me touche… Et qu’est-ce qui vous a fait quitter la maison de vos parents, et votre pays ?

Sophie.

Je suis venue ici, avec un de mes frères, implorer l’assistance d’un parent qui a été bien dur envers nous. Il m’avait vue autrefois, en province ; il paraissait avoir pris de l’affection pour moi, et ma mère avait espéré qu’il s’en ressouviendrait. Mais il a fermé sa porte à mon frère, et il m’a fait dire de n’en pas approcher.

Le Père de famille.

Qu’est devenu votre frère ?

Sophie.

Il s’est mis au service du roi. Et moi je suis restée avec la personne que vous voyez, et qui a la bonté de me regarder comme son enfant.

Le Père de famille.

Elle ne paraît pas fort aisée.

Sophie.

Elle partage avec moi ce qu’elle a.

Le Père de famille.

Et vous n’avez plus entendu parler de ce parent ?