Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/235

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Le Père de famille.

Je vous l’ordonne.

Saint-Albin.

Lorsque vous avez voulu ma mère, lorsque toute la famille se souleva contre vous, lorsque mon grand-papa[1] vous appela enfant ingrat, et que vous l’appelâtes, au fond de votre âme, père cruel ; qui de vous deux avait raison ? Ma mère était vertueuse et belle comme Sophie ; elle était sans fortune, comme Sophie ; vous l’aimiez comme j’aime Sophie ; souffrîtes-vous qu’on vous l’arrachât, mon père, et n’ai-je pas un cœur aussi ?

Le Père de famille.

J’avais des ressources, et votre mère avait de la naissance.

Saint-Albin.

Qui sait encore ce qu’est Sophie ?

Le Père de famille.

Chimère !

Saint-Albin.

Des ressources ! L’amour, l’indigence, m’en fourniront.

Le Père de famille.

Craignez les maux qui vous attendent.

Saint-Albin.

Ne la point avoir, est le seul que je redoute.

Le Père de famille.

Craignez de perdre ma tendresse.

Saint-Albin.

Je la recouvrerai.

Le Père de famille.

Qui vous l’a dit ?

Saint-Albin.

Vous verrez couler les pleurs de Sophie ; j’embrasserai vos genoux ; mes enfants vous tendront leurs bras innocents, et vous ne les repousserez pas.

Le Père de famille, à part.

Il me connaît trop bien… (Après une petite pause, il prend l’air et le ton le plus sévère, et dit :) Mon fils, je vois que je vous parle en vain,

  1. À la représentation on disait : lorsque votre père.