Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/242

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me regardera ; la honte et le dépit me saisiront ; je me lèverai, je prendrai ma canne, et je m’en irai… Non, je voudrais pour tout ce que je possède, lorsque tu gravissais le long des murs du fort Saint-Philippe[1], que quelque Anglais, d’un bon coup de baïonnette, t’eût envoyé dans le fossé, et que tu y fusses demeuré enseveli avec les autres ; du moins on aurait dit : « C’est dommage, c’était un sujet ; » et j’aurais pu solliciter une grâce du roi pour l’établissement de ta sœur… Non, il est inouï qu’il y ait jamais eu un pareil mariage dans une famille.

Saint-Albin.

Ce sera le premier.

Le Commandeur.

Et je le souffrirai ?

Saint-Albin.

S’il vous plaît.

Le Commandeur.

Tu le crois ?

Saint-Albin.

Assurément.

Le Commandeur.

Allons, nous verrons.

Saint-Albin.

Tout est vu.



Scène IX


SAINT-ALBIN, SOPHIE, MADAME HÉBERT.
(Tandis que Saint-Albin continue comme s’il était seul, Sophie et sa bonne s’avancent, et parlent dans les intervalles du monologue de Saint-Albin.)


Saint-Albin, après une pause, en se promenant et rêvant.

Oui, tout est vu… ils ont conjuré contre moi… je le sens…

Sophie, d’un ton doux et plaintif.

On le veut… Allons, ma bonne.

  1. Après la prise de Port-Mahon par les Français en 1756, les Anglais s’étaient retirés au fort Saint-Philippe. (Br.)