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LETTRES



À FALCONET






I[1]


Ce 10 décembre 1765.


Oui, je veux vous aimer toujours ; car je ne vous en aimerais pas moins, quand je ne le voudrais pas. Je pourrais presque vous adresser la prière que les Stoïciens faisaient au Destin : « Ô Destin, conduis-moi où tu voudras, je suis prêt à te suivre : car tu ne m’en conduirais et je ne t’en suivrais pas moins, quand je ne le voudrais pas. »

Vous sentez que la postérité m’aimera, et vous en êtes bien content ; et vous sentez bien mieux qu’elle vous aimera aussi, et vous ne vous en souciez pas. Comment pouvez-vous faire cas pour un autre d’un bien que vous dédaignez pour vous ? S’il vous est doux d’avoir pour ami… Je m’arrête là, je crois que j’allais faire un sophisme qui aurait gâté une raison de sentiment.

Il est doux d’entendre pendant la nuit un concert de flûtes qui s’exécute au loin et dont il ne me parvient que quelques sons épars que mon imagination, aidée de la finesse de mon oreille, réussit à lier, et dont elle fait un chant suivi qui la charme d’autant plus, que c’est en bonne partie son ouvrage. Je crois que le concert qui s’exécute de près a bien son prix.

  1. Publiée comme inédite dans l’Artiste de 1846, t. VI, p. 271.