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mais plutôt sur des idées absurdes. Si donc il rend raison des phénomenes, il ne faut pas lui en tenir compte ; il ne peut devoir cet avantage qu’à ce qu’il a de défectueux dans ses principes. Vous ne frappez donc pas au but, en étalant ici tous vos raisonnemens en faveur du Manichéisme. Sachez qu’une supposition n’est mauvaise quand elle ne peut rendre raison des phénomenes, que lorsque cette incapacité vient du fond de la supposition même, mais si son incapacité vient des bornes de notre esprit, & de ce que nous n’avons pas encore assez acquis de connoissances pour la faire servir, il est faux qu’elle soit mauvaise. Bayle a bâti son système touchant l’origine du mal, sur les principes de la bonté, de la sainteté & de la toute-puissance de Dieu. Mallebranche préfere ceux de l’ordre, de la sagesse. Lerbnitz croit qu’il ne faut que sa raison suffisante pour expliquer tout. Les Théologiens emploient les principes de la liberté, de la providence générale & de la chûte d’Adam. Les Sociniens nient la prescience divine ; les Origénistes, l’éternité des peines ; Spinosa n’admet qu’une aveugle & fatale nécessité ; les Philosophes payens ont eu recours à la métempsycose. Les principes, dont Bayle, Mallebranche, Leibnitz, & les Théologiens le servent, sont autant de vérités. C’est l’avantage qu’ils ont sur ceux des Sociniens, des Origénistes, des Spinosistes & des Philosophes payens. Mais aucune de ces vérités n’est assez féconde pour nous donner la raison de tout. Bayle ne se trompe point, lorsqu’il dit que Dieu est saint, bon, tout-puissant : il se trompe sur ce qu’en croyant ces données là suffisantes, il veut faire un système. J’en dis autant des autres. Le petit nombre de vérités que notre raison peut découvrir, & celles qui nous sont révélées, font partie d’un système propre à résoudre tous les problemes possibles, mais elles ne sont pas destinées à nous le faire connoître. Dieu n’a tiré qu’un pan du voile, qui nous cache ce grand mystere de l’origine du mai. On peut juger par-là si les objections de Bayle, quelle que soit la force & l’adresse avec laquelle il les a maniées, & avec quelque air de triomphe que ces gens les fassent valoir, étoient dignes de toute la terreur qu’elles ont répandue dans les esprits.

MANICHOIRE, s. m. (Cordonnerie.) est un morceau de buis plat & mince en rondache par les deux bouts, un bout plus large que l’autre ; il sert à ranger les points de derriere les souliers. Voyez nos Planches du Cordonnier-Bottier.

MANICORDE ou CLARICORDE, s. m. (Lutherie.) instrument de musique en forme d’épinette. Voyez Épinette.

Il y a 49 ou 50 touches ou marches, & 70 cordes qui portent sur 5 chevalets, dont le premier est le plus haut ; les autres vont en diminuant. Il a quelques rangs de cordes à l’unisson, parce qu’il y en a plus que de touches.

On y pratique plusieurs petites mortaises, pour faire passer les sauteraux armés de petits crampons d’airain qui touchent & haussent les cordes, au lieu de la plume de corbeau qu’ont ceux des clavessins & des épinettes. Mais ce qui le distingue encore plus, c’est que ses cordes sont couvertes depuis le clavier jusqu’aux mortaises, de morceaux de drap qui rendent le son plus doux, & l’étouffent tellement qu’on ne le peut entendre de loin.

Quelques personnes l’appellent par cette raison, épinette sourde ; & c’est ce qui fait qu’il est particulierement en usage dans les couvens religieuses, où on s’en sert par préférence pour apprendre à jouer du clavessin dans la crainte de troubler le silence du dortoir.

Le claricorde est plus ancien que le clavessin & l’épinette, comme le témoigne Scaliger, qu’il ne

lui donne au reste que 35 cordes. Voyez Clavessin.

MANICORDION, s. m. terme de Luth. c’est une sorte de fil de fer ou de léton très-fin & très-délié, dont on fait les cordes des manicordions, épinettes, clavessins, psalterions & autres instrumens de musique semblables.

MANICOU, s. m. (Hist. nat.) quadrupede gros à-peu-près comme un lievre ; il est couvert d’un poil assez rude, de couleur grise tirant sur le roussâtre ; sa tête approche de celle du renard, mais plus allongée, ayant le museau pointu, les oreilles droites, les yeux ronds paroissant sortir de la tête, la gueule très-fendue & garnie de dents fort aiguës ; ses pattes sont armées d’ongles assez forts ; sa queue est extrèmement longue, fort souple, & pelée comme celle d’un rat ; ce n’est pas la partie la moins utile à l’animal ; il s’en sert non-seulement pour s’accrocher aux branches des arbres, mais encore pour épouvanter & saisir les volailles dont il est extrèmement avide. Il a sous le ventre entre les deux cuisses une espece de poche ouverte en longueur comme le jabot d’une chemise, dans laquelle la femelle retire ses petits, soit pour les alaiter ou les transporter plus commodément d’un lieu en un autre, & par ce moyen les soustraire à la poursuite des chiens & des chasseurs. Cet animal est si stupide, qu’étant surpris il n’ose s’enfuir & se laisse tuer à coups de bâton ; sa chair peut s’accommoder à différentes sauces, mais il faut avoir faim pour en manger ; car elle exhale une odeur qui répugne ; les seuls negres en font usage. Le manicou se trouve très-communément dans les îles de la Grenade, des Grenadins, de Tabago, & autres îles qui avoisinent le continent de l’Amérique. On le nomme quelquefois opossum, coriguayra, maritacaca, & filander, selon les différens pays ou il se rencontre. M. le Romain.

MANIE, s. f. (Medecine.) μανιη, vient du mot grec μαινομαι, qui signifie je suis en fureur. On appelle de ce nom un délire universel sans fievre, du moins essentielle : assez souvent ce délire est furieux, avec audace, colere, & alors il mérite plus rigoureusement le nom de manie ; s’il est doux, tranquille, simplement ridicule, on doit plutôt l’appeller folie, imbecillité. Voyez ces mots. Comme ces différens états ne sont que des degrés, des especes de manie, tous dépendans de la même cause, nous comprendrons en général dans cet article toutes ces maladies longues dans lesquelles les malades non seulement déraisonnent, mais n’apperçoivent pas comme il faut, & font des actions qui sont ou paroissent être sans motifs extraordinaires & ridicules. Si les malades n’avoient qu’un ou deux objets déterminés de délire, & que dans les autres sujets ils se comportassent en personnes sensées, c’est-à-dire comme la plûpart des hommes, ils seroient censés mélancoliques & non pas maniaques, &c. Voyez l’article Mélancholie.

La manie est ordinairement annoncée par quelques signes qui en sont les avant-coureurs ; tels sont la mélancholie, des douleurs violentes dans la tête, des veilles opiniâtres, des sommeils legers, inquiets, troublés par des songes effrayans, des soucis, des tristesses qu’on ne sauroit dissiper, des terreurs, des coleres excitées par les causes les plus legeres. Lorsque la manie est sur le point de se décider, les yeux sont frappés, éblouis de tems en tems par des traits de lumieres, des especes d’éclairs ; les oreilles sont fatiguées par des bruits, des bourdonnemens presque continuels ; l’appétit vénérien devient immodéré, les pollutions nocturnes plus fréquentes ; les malades fondent en pleurs, ou rient demesurément contre leur coutume & sans raison apparente ; ils parlent beaucoup à-tort & à-travers, ou gardent