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bâtiment dans les grands jardins qui sert en hiver à préserver du froid les orangers, & en général toutes les plantes exotiques. Sa forme la plus ordinaire est celle d’un grand sallon ou plûtôt d’une galerie, dont le côté de l’entrée est exposé au midi, & qui n’a point d’ouvertures du côté du nord ; & afin que le froid ne puisse pas pénétrer de ce côté, il y a de petits appartemens ; ces appartemens peuvent même servir à échauffer l’orangerie sans y faire du feu, & cela en y faisant passer des tuyaux de poîle, ou en pratiquant un poîle dans l’ouverture du mur mitoyen aux appartemens & à l’orangerie. Une des plus magnifiques orangeries qui ait été bâtie, est celle de Versailles, avec aîles en retour, & décorée d’un ordre toscan.

On appelle aussi orangerie le partere où l’on expose les orangers pendant la belle saison.

Orangerie se dit encore des orangers mêmes enfermés dans les caisses. (D. J.)

ORARIUM, s. m. (Hist. ecclés.) partie du vêtement des prêtres, qu’on appelloit aussi stola, étole. Les évêques, les prêtres & les diacres le portoient, mais non les soudiacres, les lecteurs & les chantres. Oter l’orarium ou déposer, c’étoit la même chose. C’étoit aussi un linge que les diacres portoient sur le bras gauche ; il n’étoit pas quarré, mais oblong ; il étoit à l’usage de tous les citoyens. On n’alloit point aux spectacles sans ce mouchoir, qu’on jettoit en l’air quand on étoit content. L’empereur Aurélien en fit distribuer au peuple. Paule de Samosate exigeoit le même applaudissement de ses auditeurs lorsqu’il préchoit. Le mot orarium vient, selon quelques uns, de os, oris, parce qu’on s’en servoit pour s’essuyer la bouche ; selon d’autres d’ora, oræ, frange, bordure, parce qu’il étoit bordé & frangé.

ORATAVA, (Géogr.) ville de l’île de Ténériffe, une des Canaries, à l’ouest de l’île. C’est le port le plus célebre qu’il y ait dans ce canton pour le commerce. Les Anglois y ont un consul. Selon l’observation du P. Feuillée en 1744, la différence du méridien entre Oratava & Toulon, est de 22 degrés 23 minutes, & par conséquent entre Paris 18d. 45′ 26″. (D. J.)

ORATEUR, (Eloquence & Rhétorique.) Ce mot dans son étymologie s’étend fort loin, signifiant en général tout homme qui harangue. Ici il désigne un homme éloquent qui fait un discours public préparé avec art pour opérer la persuasion.

Quelque sujet que traite un tel orateur, il a nécessairement trois fonctions à remplir ; la premiere est de trouver les choses qu’il doit dire ; la seconde est de les mettre dans un ordre convenable ; la troisieme, de les exprimer avec éloquence : c’est ce qu’on appelle invention, disposition, expression. La seconde opération tient presque à la premiere, parce que le génie lorsqu’il enfante, étant mené par la nature, va d’une chose à celle qui doit la suivre. L’expression est l’effet de l’art & du goût. Voyez Invention, Disposition, Expression.

On distingue trois devoirs de l’orateur, ou, si l’on veut, trois objets qu’il ne doit jamais perdre de vûe, instruire, plaire & émouvoir. Le premier est indispensable, car à moins que les auditeurs ne soient instruits d’ailleurs, il faut nécessairement que l’orateur les instruise : cette instruction est quelquefois capable de plaire par elle-même ; il y a pourtant des agrémens qu’on y peut répandre, ainsi que dans les autres parties du discours ; c’est à quoi l’on oblige l’orateur par le second devoir qu’on lui prescrit, qui est de plaire. Il y en a un troisieme, qui est d’émouvoir ; c’est en y satisfaisant que l’orateur s’éleve au plus haut degré de gloire auquel il puisse parvenir ; c’est ce qui le fait triompher ; c’est ce qui brise les cœurs & les entraîne.

Le secret est d’abord de plaire & de toucher ;
Inventez des ressorts qui puissent m’attacher.

Ces ressorts sont d’employer les passions, instrument dangereux quand il n’est pas manié par la raison ; mais plus efficace que la raison même quand il l’accompagne & qu’il la sert. C’est par les passions que l’éloquence triomphe, qu’elle regne sur les cœurs ; quiconque fait exciter les passions à propos, maîtrise à son gré les esprits, il les fait passer de la tristesse à la joie, de la pitié à la colere. Aussi véhément que l’orage, aussi pénétrant que la foudre, aussi rapide que les torrens, il emporte, il renverse tout par les flots de sa vive éloquence : c’est par là que Démosthène a régné dans l’Aréopage & Cicéron dans les rostres.

Personne n’ignore que les orateurs chez les Grecs & les Romains étoient des hommes d’état, des ministres non moins considérables que les généraux, qui manioient les affaires publiques, & qui entroient dans presque toutes les révolutions. Leur histoire n’est point celle de particuliers, ni les matieres qu’ils traitoient un spectacle d’un art inutile. Les harangues de Démosthène & de Cicéron offrent des tableaux vivans du gouvernement, des intérêts, des mœurs & du génie des deux peuples. Il me paroît donc important de tracer avec quelque étendue le caractere des orateurs d’Athènes & de Rome : ce sera l’histoire de l’éloquence même. Ainsi, voyez Orateurs grecs, Orateurs romains.

Bossuet, Fléchier, Bourdalouë, ont été dans le dernier siecle de grands orateurs chrétiens. Les oraisons funebres des deux premiers les ont couduits à l’immortalité ; & Bourdalouë devint bien tôt le modele de la plûpart des prédicateurs. Mais rien parmi nous n’engage aujourd’hui personne à cultiver le talent d’orateur au barreau, ce tribunal que Virgile appelle si bien ferrea juga, insanumque forum. C’est ce qui a fait dire à un de nos auteurs modernes :

Egaré dans le noir dédale
Où le phantôme de Thémis
Couché sur la pourpre & les lis,
Penche la balance inégale,
Et tire d’une urne vénale
Des arrêts dictés par Cypris.
Irois-je, orateur mercénaire
Du faux & de la vérité,
Chargé d’une haine étrangere
Vendre aux querelles du vulgaire
Ma voix & ma tranquillité ? (D. J.)

Orateurs grecs, (Hist. de l’Éloquence.) pour mettre de la méthode dans ce discours, nous partagerons les orateurs grecs en trois âges, conformément aux trois âges de l’éloquence d’Athènes.

Premier age. Périclès fut proprement le premier orateur de la Grece, avant lui nul discours, nul ornement oratoire. Quelques sophistes sortis des colonies grecques, avec un style sententieux, des termes amphatiques, un ton empoulé, & un amas fastueux d’hyperboles, éblouirent quelque tems les Grecs. Les Athéniens frappés du style fleuri & métaphorique de Gorgias de Léontium, le respecterent comme un enfant des dieux ; ses hypallages, ses hyperbates, ses caracteres lui mériterent une statue d’or massive dans le temple de Delphes. Hyppias d’Elée, fameux par sa prodigieuse mémoire, étoit comme l’orateur commun de toutes les républiques grecques. Périclès, guidé par un génie supérieur, & formé par de plus habiles maîtres, vint tout à coup éclipser la réputation que ces vains harangueurs avoient usurpée, & détromper ses compatriotes : ses vertus, ses exploits, son savoir profond, & ses rares qualités donnerent de l’éclat à cette magnifi-