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pas bien démontré, & qu’il exige encore le concours d’une habile tourneuse, on ne pense pas devoir s’arrêter à ce principe.

Le mouvement des tours ou chevalets dont on se sert en France, étant composé du seul jeu, comme on l’a observé, il n’est pas possible qu’une seule corde qui donne le mouvement au va-&-vient, puisse produire le même effet que produiront des roues semblables à celles dont est composé le chevalet ou tour de Piémont ; un mouvement qui se fait par des roues à dents sera toujours plus juste & plus égal que celui à cordes & à poulies : le premier peut se mesurer, diviser & distribuer à telle proportion que l’on veut ; on peut en déterminer & fixer les gradations par le nombre des dents dont il est composé, & l’on est en état à chaque instant de compter ces gradations jusqu’à la plus petite réduction ; ce que l’on ne sauroit faire dans le second mouvement, la corde ni les poulies n’étant pas susceptibles de cette ponctuation géométrique qui seroit réquise pour en mesurer & distinguer les progressions : d’ailleurs un mouvement composé est bien plus multiplié & varié qu’un mouvement simple, cela est clair.

Enfin il n’est pas de doute que pour former sur l’hasple ou devidoir les croisemens en zig-zag qui empêchent qu’aucun fil de la soie ne se couche sur l’autre, il faut un mouvement extrèmement multiplié & varié, & qui renferme en lui-même une irrégularité représentative aussi-bien que productive de ces zig-zags, ce qui ne se rencontre ni ne peut se rencontrer que dans le rouage de la machine de Piémont.

Le pignon de l’hasple de cette machine a 22 dents qui s’engrenent à une roue, non pas de 22 dents aussi, ce ne seroit-là qu’un mouvement simple, mais de 25 dents ; cette irrégularité, dans le nombre des dents, en engendre nécessairement une dans le mouvement qui n’est appellé un jeu (art. 15. du reglement de Piémont, 8 Avril 1724.), chez les Piémontois, qu’à cause de cette irrégularité même. La roue du va-&-vient de 35 dents reçoit le mouvement d’une roue de 22 dents, seconde irrégularité qui forme un second jeu, cette double irrégularité de mouvement s’entretenant exactement par la correspondance d’entre le va-&-vient & l’hasple qui lui donne le branle, forme un mouvement intégral dont l’effet est d’imiter & de suivre, dans la décomposition du cocon, la même méthode que le ver-à-soie a employée à le composer ; car c’est un point de fait constant entre les naturalistes & les artistes, que la soie du cocon y est filée en zig-zags pareils à ceux que le tour du Piémont fait former sur son hasple, & que par conséquent l’operation de ce tour est une imitation de la nature dont l’industrie du ver instruit par elle est le prototype.

Ces deux mouvemens disposés, comme il vient d’être démontré, sont mesurés de façon qu’auparavant qu’ils puissent recommencer au même point d’où ils sont partis, l’hasple doit faire 875 tours. Or il n’est pas possible que pendant l’intervalle de cette quantité de tours que le vent de l’hasple fait sécher, il puisse arriver que le fil qui prend la même place qu’il a occupée en commençant les 875 tours, se colle avec celui qui l’a précédé parce qu’il doit être extrèmement sec.

On pourroit donner le réglement du Piémont en entier concernant le tirage des soies, traduit de l’italien très-exactement, avec des notes sur la nécessité d’observer tous les articles qu’il contient.

Observations sur l’art de tirer la soie de dessus le cocon, où l’on démontre l’importance de cet art, & que la machine dont se servent les Piémontois pour le tirage, est la seule qui y convienne. Il n’est point d’art, dont les prérogatives & la perfection ne dépendent de cer-

taines opérations élémentaires & primitives qui influent

sur toutes les opérations subséquentes, aussi nécessairement que la cause influe sur son effet.

Tel est entr’autres, l’art de manœuvrer & fabriquer la soie, dont l’opération élémentaire & primitive est le tirage, ou la façon de la tirer de dessus le cocon qui la produit. Cette opération a un rapport si essentiel à celles qui concernent la manœuvre & la fabrication de la soie, & des étoffes dans la composition desquelles la soie entre, que c’est de son plus ou moins de perfection, que dépend le plus ou le moins de facilité & de succès dans la préparation de la soie, & dans la fabrication desdites étoffes : c’est une vérité justifiée par l’expérience de toutes les manufactures en soie, & par la réputation que les Piémontois se sont acquise dans toute l’Europe, pour ce qui concerne le tirage des soies, dans lequel ils excellent & l’emportent sur les autres nations. En effet, cette réputation est telle, qu’il n’est point de fabriquant qui ne soit obligé de convenir qu’il est impossible de faire une étoffe parfaite, sur-tout dans l’uni, sans le secours des organcins, ce sont les soies dont on forme la chaîne des étoffes, composés avec la soie du tirage de Piémont, tout autre tirage lui étant de beaucoup inférieur.

De-là, il est aisé de conclure qu’en France ni ailleurs, on n’atteindra jamais à la perfection de ce tirage, qu’en imitant la pratique des Piémontois ; pratique d’autant plus sûre, qu’elle est une imitation de la nature, & que les nouvelles machines que l’on a voulu introduire en France, ne sont elles-mêmes qu’une imitation, mais imparfaite de celle de Piémont ; c’est ce que l’on va développer : le détail est indispensable.

Les cocons dont on veut tirer la soie étant triés, afin de ne tirer qu’une même espece de soie de plusieurs cocons à la fois ; on les passe au four pour faire mourir le ver qui y est renfermé. Cela fait, on les jette dans une chaudiere qu’on appelle en terme de l’art, bassine, pleine d’eau chaude, dont la chaleur est entretenue dans un certain degré par un fourneau sur lequel on la met. Une ouvriere en démêle les premiers brins ou fils, en les fouettant dans cette eau avec un petit balai ; les brins ou fils démêlés, elle les divise en deux portions égales, qu’elle croise l’une sur l’autre quinze ou dix-huit fois pour les soies les plus fines, & à plus grand nombre de fois à proportion de leurs grosseurs.

Ces croisemens qui se font entre une lame de fer fixe & adhérente à la bassine, d’une part ; & deux fils de fer recourbés & attachés à une lame de bois, dont on parlera dans un moment, d’autre part, sont d’une nécessité absolue pour unir inséparablement les fils de chacun de ces deux brins croisés, en les dévidant sur le tour dont on parlera aussi ci-après, afin de leur donner la consistance & la force nécessaires pour être mis en œuvre.

Premiere utilité de ces croisemens ; ils contribuent encore à rendre les soies nettes, parce qu’ils les détergent & ils les arrondissent également, de la même façon que pourroit faire une filiere, ensorte qu’il ne peut passer aucun bouchon entre les croisemens de cette espece ; on appelle bouchons les inégalités & grosseurs qui se rencontrent dans les fils. Seconde utilité de ces croisemens.

On attache chacun de ces brins à un tour ou devidoir que l’on nomme hasple, sur lequel une autre ouvriere en dévide jusqu’à une certaine quantité, dont l’on forme des écheveaux ; mais comme les écheveaux doivent être encore devidés pour préparer la soie sur le moulin ; il s’agit lors du premier devidage, de parer aux inconvéniens qui peuvent se rencontrer dans le second. Ces inconvéniens sont, la difficulté dans ce second devidage, le cassement des fils, & le