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déchet par conséquent que ce cassement occasionne ; ce qui rend ce second devidage d’autant moins fructueux qu’il est plus défectueux, en ce que ces soies d’un côté demeurent plus long-tems à être devidées, & que d’un autre côté étant cassées, elles ne peuvent être nouées si proprement que ce nœud ne les rende inégales dans leur grosseur ; & cette défectuosité originelle non-seulement se continue dans la préparation de la soie & dans la formation de l’organsin, mais encore elle se perpétue jusque dans la fabrication de l’étoffe, sans pouvoir être corrigée par aucune industrie ; parce que ces nœuds ne pouvant passer par les dents des peignes, la soie se casse une seconde fois : il faut donc la renouer une seconde fois au-delà des dents du peigne, ce qui fait nécessairement une imperfection qui s’apperçoit, moins à la vérité dans une étoffe brochée, que dans une étoffe unie ; mais qui n’en est pas moins un vice & un defaut, soit que les premiers nœuds puissent passer ou non par les dents du peigne ; la chose est sensible.

Tous ces inconvéniens partent d’une même cause qui est que la soie, lors du premier devidage, n’a pas été croisée sur le tour ou hasple ; car outre les premiers croisemens dont on vient de parler, il en faut encore d’autres qui se forment sur cet hasple, à mesure que la soie s’y dévide. Ce sont ces nouveaux croisemens qui rendent aisé le second devidage, & empêchent le cassement des fils, & par conséquent leur déchet ; & c’est ici où se réduit toute la difficulté du tirage, & le point essentiel & délicat de cette main-d’œuvre fondamentale. La nécessité de l’expliquer le plus clairement qu’il sera possible, fait passer par-dessus la crainte d’être prolixe.

La soie que produit le cocon, n’est dans son principe qu’une espece de gomme ductile à l’infini ; & comme en la tirant de dessus le cocon, elle est encore en bave, pour ainsi dire, il est nécessaire qu’en sortant de dessus la chaudiere pour aller sur le devidoir, elle fasse des mouvemens si exactement irréguliers, que les brins ne puissent jamais se joindre ; parce que dès qu’ils se sont une fois touchés & baisés, ils se collent ensemble & ne peuvent plus se séparer : ce qui fait qu’il est impossible de devider ensuite cette soie mise en écheveaux sans qu’elle ne se casse ; défaut, on ne sauroit trop le répéter, d’autant plus essentiel, qu’il influe sur les opérations pour la préparer, mouliner, mettre en organsin, & ensuite en étoffes.

Ces mouvemens sont produits par celui d’une lame de bois qui est placée horisontalement au-dessus de la bassine, à environ deux piés de l’hasple : à cette lame sont attachés deux fils de fer recourbés en anneaux ouverts, que l’on appelle griffes, dans lesquels on passe les deux brins deja croisés, ainsi qu’on l’a expliqué ci-devant.

C’est-là cette lame que les Artistes appellent va-&vient, nom qui en renferme une idée aussi claire que succinte, puisqu’effectivement elle ne fait qu’aller & venir, & cela sur sa longueur, & toujours sur une même ligne ; & ce sont ces allées & venues continuelles qui font que la soie se croise sur l’hasple en forme de zigzag, sans qu’un brin se couche, ni par conséquent se colle sur l’autre : elles doivent donc être ces allées & ces venues extrèmement justes & régulieres, pour former par proportion aux tours que fait l’hasple, un mouvement égal de correspondance d’où naissent successivement ces zigzag ; cela n’est pas douteux.

Or la machine de Piémont seule opere cette merveille ; c’est ce qu’il s’agit de démontrer : mais avant de passer outre, il est bon d’observer que les inventeurs de ces nouvelles machines en France, ne prétendent pas qu’elles prévalent à celle de Piémont :

c’est déja un grand point, mais seulement qu’elles l’égalent ; c’est encore quelque chose : car en supposant le fait, c’en est assez pour proscrire leur usage, parce qu’elles coutent plus cher que la machine de Piémont ; mais il faut prouver que ces nouvelles machines n’approchent point de la perfection de celle de Piémont, & par conséquent qu’elles ne l’égalent pas.

La machine ou tour de Piémont que l’on appelle chevalet, est un chassis composé de quatre piliers de bois qui, joints ensemble par des traverses, forment un quarré long de 3 piés 4 pouces ou environ, sur environ 2 piés de largeur. Dans le haut de ce chassis, & entre les deux piliers est placé l’hasple ou devidoir, composé de quatre aîles, dont le diametre est de deux piés ou environ, y compris le diametre de son arbre ou axe ; dans le bas & au côté oppose aussi entre les deux piliers, est la lame de bois ou le va-&-vient.

A l’un des bouts de l’arbre qui passe dans le pilier du côté droit, est attachée la manivelle de la tourneuse, & à l’autre bout est un pignon horisontal de vingt-deux dents.

Celui des deux piliers entre lesquels est le va-&vient, est attaché d’un bout par un excentrique ; l’autre bout du va-&-vient est passé dans une coulisse ; l’intervalle qui est entre les deux roues ci-dessus, est rempli par une piece de bois arrondie, à chacune des extrémités de laquelle est une roue de champ, dont l’une qui a vingt-cinq dents s’applique & s’engraine sur le pignon de l’hasple ; & l’autre qui n’en a que vingt-deux sur la roue du va-&-vient.

La tourneuse met le rouage en mouvement, en tournant avec la main la manivelle du devidoir à l’arbre duquel est attaché le pignon, qui est le principe des deux mouvemens corrélatifs de l’hasple & du va&-vient.

Ces deux mouvemens sont mesurés, de façon qu’auparavant qu’ils puissent recommencer au même point d’où ils sont partis, l’hasple doit faire 875 tours.

Le fameux réglement de Piémont, donné ad hoc au mois d’Avril 1724, exige indispensablement dans la structure des tours à filer ou devider la soie, ce nombre de roues & de dents.

Li cavaleti, porte l’article 15. provisti de loro guiochi necessari perle devute guerociature per ogni guiocho : avere il pagnone di denti 25, campana grossa di 25, stello dellaspa e campana piccola di denti 22 caduna ; e mantenersi tali ordigni, sempre in istato di buon servizio : c’est-à-dire, « les chevalets seront pourvûs de leurs jeux nécessaires pour opérer les croisemens susdits, chaque jeu aura, savoir, le pignon 25 dents, la grosse roue 25, l’étoile de l’hasple & la petite roue 22 chacune ; & il faudra maintenir toujours cet ordre, il sera d’un bon service ».

Cette loi est le fruit des recherches & des découvertes des plus habiles manufacturiers & artistes de Piémont. Il en résulte deux choses ; la premiere, qui n’est point contestée, que la soie qui se porte sur l’hasple doit continuellement se croiser ; & la seconde, que ces croisemens continuels ne peuvent être opérés par un mouvement simple, mais bien par un mouvement double & composé de deux jeux, tels qu’ils sont prescrits par cette ordonnance.

L’on sent déja au premier coup-d’œil que ce rouage établit d’un côté l’identité continue de chaque mouvement du hasple & du va-&-vient en soi-même, une dent ne pouvant passer devant l’autre, & d’un autre côté la correspondance & la réciprocité entre ces deux mouvemens. On va les particulariser & en expliquer les propriétés, en faisant la comparaison des nouvelles machines avec celle de Piémont.

Les machines nouvellement inventées, l’une par