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prouve le malade lorsque le tendon est considérablement blessé, sont moins cruels que quand la plaie est plus légere ; ensorte qu’alors il faut achever de le couper pour faire cesser la douleur & les convulsions ; cependant il n’est pas impossible de réunir sans suture le tendon d’Achille, aussi-bien que d’autres tendons offensés, si l’on peut bander le pié de maniere que les deux extrémités du tendon soient maintenues dans un état de contact.

Nos chirurgiens ont finalement hasardé de réunir le tendon par la voie de la suture, & Cowper nous en a laissé une description détaillée, que M. Heister a rendu encore plus intelligible que le fameux chirurgien de Londres ne l’a donnée lui-même.

Le blessé avoit 30 ans ; le tendon d’Achille de sa jambe gauche étoit entierement coupé à la distance de trois travers de doigts du calcaneum ; la partie supérieure étoit retirée en en-haut d’environ deux pouces. Cowper commença par découvrir, par la voie de l’incision, les tégumens, pour pouvoir parvenir aux extrémités du tendon. Il prit deux aiguilles droites & menues, & introduisit, au moyen de la premiere aiguille, un fil de soie ciré dans la partie supérieure du tendon, à un demi-pouce du bout. Avec une autre aiguille enfilée pareillement d’un fil de soie, il perça de même la partie supérieure du tendon, la faisant entrer un peu plus bas que la premiere ; ensuite il passa les deux aiguilles dans la partie inférieure du tendon. Il étendit le pié du malade, & fit approcher les deux extrémités du tendon au point qu’elles se touchassent, en tirant les deux bouts de fil l’un à l’autre, lesquels il lia de maniere que les extrémités du tendon fussent maintenues en état de contact, faisant toujours tenir au blessé son pié alongé ; puis il coupa les bouts des fils.

Cela fait, il pansa la plaie avec de la charpie qu’il trempa dans de l’huile de térébenthine, & y appliqua une compresse & un bandage. Mais afin que le pié fût toujours comme il le falloit, dans un état d’extension, & que les extrémités du tendon continuassent de se toucher, il fit une espece d’arc de carton fort & épais, qu’il appliqua tellement à la partie antérieure du pié & de la jambe, que le pié ne pût point avoir de mouvement ni la suture se rompre. Cowper observe que le blessé se plaignit de douleurs aiguës, lorsqu’il lui perça avec l’aiguille la partie supérieure du tendon, mais qu’il n’en sentit point lors de la perforation de la partie inférieure.

L’opération faite, le malade fut mis au lit ; on lui tira du bras quatorze onces de sang, pour obvier, par cette grande saignée, aux accidens qui pouvoient survenir ; on lui donna sur le soir une once de syrop de diacode, pour lui procurer du repos.

Le lendemain le malade se trouva assez bien : il avoit dormi : seulement il se plaignit que pendant la nuit il avoit senti des douleurs lancinantes au gras de la jambe, lorsqu’il lui étoit arrivé de s’éveiller. Le troisieme jour Cowper pansa la plaie de même que le premier, y ajoutant seulement une fomentation d’absynthe, de sauge, de romarin & de feuilles de laurier. Le quatrieme jour la plaie parut humectée d’une humeur séreuse, appellée synovie ; le six cette matiere étoit épaissie ; le huit elle l’étoit encore davantage, après quoi elle disparut d’elle-même.

Pendant tout ce tems-là les deux extrémités du tendon ne s’écarterent point du tout ; mais il parut à l’endroit de leur conjonction une substance blanche, sur laquelle M. Cowper appliqua du baume de térébenthine & de la teinture de myrrhe. Bientôt après cette substance se dissipa, & alors les deux extrémités parurent couvertes d’une autre substance fongueuse & charnue. M. Cowper ne mit plus rien alors que de sec sur la plaie, tantôt de la charpie seche, & tantôt de la poudre de térébenthine. Le di-

xieme jour un des fils parut lâche, Cowper le coupa

& le retira. Deux ou trois jours après l’autre fil étant lâche aussi, il le coupa & le retira de même. Pendant tout ce tems le pié étoit toujours étendu, au moyen du carton qui étoit attaché par dessus. Au bout de trente jours, le malade fut en état de marcher un peu, mais en boitant. Petit à petit il marcha plus aisément, & sur la fin du second mois, il recouvra entierement l’usage de son pié.

La destruction du tendon d’Achille emporte avec elle celle de la faculté qui produit le mouvement du pié ; ainsi, à moins que ce tendon ne soit bien repris, le blessé en demeure estropié pour toujours. (D. J.)

Voici une continuation sur le même accident, par M. Louis, chirurgien & secrétaire de l’Académie de chirurgie. Elle est tirée d’un mémoire de M. Petit, dont M. de Fontenelle a donné l’extrait qui suit, dans les recueils de l’Académie des Sciences.

Les tendons sont des especes de cordes qui par une de leurs extrémités partent d’un muscle, & par l’autre s’attachent à un os, de sorte que quand le muscle est en action, ou se contracte, le tendon tire à soi l’os auquel il est attaché, & lui fait faire le mouvement dont il est capable. Les tendons sont d’une nature à ne s’étendre pas, si ce n’est dans des contractions de leurs muscles extraordinaires & outrées : en ce cas-là, si l’os qu’ils doivent tirer ne peut leur obéir assez & les suivre, ou l’os casse par la traction du tendon trop forte, ou le tendon se rompt par son extension trop violente.

Il faut encore considérer que dans certaines actions, comme celle de sauter de bas en haut, tout le poids du corps est porté, & même surmonté par un nombre de muscles, qui ayant été mis dans une forte contraction, se débandent brusquement tout à la fois, & par-là causent le saut. Si dans l’instant où ces muscles étendent violemment leurs tendons, il arrive un accident qui fasse que ces tendons soient encore tirés en en-bas par tout le poids du corps, il ne sera pas étonnant qu’ils ne résistent pas à une extension si excessive. C’est ainsi que le sauteur de M. Petit se cassa le tendon d’Achille ; il vouloit sauter sur une table élevée de plus de trois piés, il n’en attrapa que le bord du bout de chaque pié, où le tendon d’Achille étoit alors fort étendu par l’effort nécessaire, il retomba droit, & dans cette chûte le tendon d’Achille fut encore étendu par le poids de tout le corps qui le tiroit. On peut ajouter que la force de ce poids fut augmentée par l’accélération d’une chûte de trois piés.

Le tendon d’Achille est formé par l’union intime des tendons de deux muscles différens, l’un appellé les jumeaux, l’autre le solaire. Si ces deux tendons, qui composent celui d’Achille, sont cassés, la rupture est complete ; elle est incomplete, s’il n’y a que l’un des deux. Dans l’incomplete que M. Petit a vue, c’étoit le tendon des jumeaux qui étoit cassé, l’autre restant entier. Il ne faut pas entendre que cette division des ruptures soit fondée sur un grand nombre d’expériences. M. Petit n’en a vu qu’une incomplete, qu’il n’a reconnue pour telle, & distinguée de la complete, que par une grande exactitude d’observations ; & il a jugé de plus que celle qu’Ambroise Paré a rapportée, étoit de la même espece. Pour l’autre incomplete, il ne fait guere que la conjecturer par une espece d’analogie. Il ne s’agira donc ici que de la premiere incomplete, qui sera en opposition avec la complete.

Il y a entre elles des différences, dont quelques-unes pourroient surprendre. L’incomplete est très douloureuse, & la complete ne l’est point. Lorsqu’un tendon est absolument rompu, ses deux parties séparées se retirent naturellement, comme feroient cel-