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de masticatoire. Les femmes qui demeurent au-delà du fleuve Indus, sont si habituées d’en mâcher, qu’elles ont de la peine à s’en passer ; elles prétendent que cette résine, en provoquant l’excrétion d’une lymphe surabondante, les délivre des fluxions, qu’elle procure de la blancheur & de la fermeté aux dents, & qu’elle donne à la bouche une haleine agréable : on en trouve par-tout dans les boutiques, & chez les parfumeurs des Turcs, des Perses, & des Arabes, sous le nom turc de sakkis, & sous le nom persan de konderuun.

Les habitans du mont Benna en Perse, ne tirent pas la térébenthine du tronc de l’arbre par des incisions, mais ils brulent le bois même du térébinthe pour en faire la résine, jusqu’à ce qu’elle ait la couleur d’un rouge brun foncé : elle sert aux peintres à cause de la vivacité de sa couleur ; car cette résine est dure, friable, & brillante : on en trouve chez les Turcs, dans les boutiques, sous le nom de sijah Benna, c’est-à-dire noir du mont Benna.

On fait usage de la térébenthine persique, comme des autres térébenthines, extérieurement & intérieurement : elle est bonne extérieurement pour amollir, résoudre, purifier les ulcères, & réunir les levres des plaies récentes : on la compte au nombre des remedes balsamiques & vulnéraires internes : on la prescrit dans les exulcérations des visceres, dans la toux invéterée, dans le commencement de la phthisie, & le crachement purulent ; elle donne aux urines l’odeur de violette, & est avantageuse dans leur suppression, quand cette suppression procede d’une sérosité âcre, épaisse, & gluante, sans inflammation.

La térébenthine de Chio, passe pour être douée des mêmes vertus : on l’emploie dans la thériaque d’Andromaque, le mithridate de Damocrates, & les trochisques de Cyphi On pourroit préparer avec cette térébenthine, ainsi qu’avec la persique, une huile, & une colophone ; mais on trouve rarement ces deux résines dans nos boutiques, où on ne connoit guere que la térébenthine des méleses, qui d’ailleurs fournit plus d’esprit que la résine des térébinthes.

La térébenthine de Venise, ou des méleses, terebentina veneta, laricea, off. est une substance résineuse, liquide, limpide, gluante, tenace, plus grossiere que l’huile, plus coulante que le miel ; elle découle également & entierement du doigt que l’on y a trempé, est un peu transparente comme du verre, de couleur jaunâtre, d’une odeur résineuse, pénétrante, agréable, & cependant un peu dégoutante ; d’un goût fin, âcre, un peu amer, qui surpasse par son âcreté & sa chaleur, la résine du térébinthe. On estime celle qui est récente, pellucide, blanche, liquide, qui n’est pas salie par des ordures, & dont les gouttes s’attachent à l’ongle, sans couleur. On l’appelle térébenthine de Venise, parce qu’autrefois on l’apportoit de ce lieu ; mais présentement on l’apporte du Dauphiné & de la Savoie ; cette espece de résine étoit connue des anciens Grecs, & dès le tems de Galien, à ce qu’il rapporte.

Le mélese, dont nous avons donné la description en son lieu, produit cette térébenthine ; elle en découle d’elle-même, ou par une incision faite à l’arbre au printems & en automne, comme une eau limpide, & de la consistance de l’huile ; mais bientôt après elle jaunit un peu, & elle s’épaissit avec le tems.

Il paroît par l’analyse chimique, que la térébenthine de mélese est composée d’une huile subtile, tellement unie avec un sel acide, que les deux ensemble font un composé résineux ; qu’elle ne contient que très-peu ou point de terre, & une très-petite portion de sel alkali fixe, que l’on apperçoit à peine. En effet, si l’on fait digérer de l’esprit de térébenthine avec l’acide vitriolique, quelques jours après ils se changent en une résine semblable à la térébenthine,

qui s’épaissit de plus en plus en continuant cette digestion, & elle se change enfin en un bitume noir.

Il faut observer que la térébenthine prise non-seulement par la bouche & en lavement, mais encore appliquée extérieurement est assez célebre ; c’est pourquoi il n’y a presque aucun liniment, aucun emplâtre, ou onguent pour les plaies & les ulceres, ou la térébenthine de Venise n’entre. Les chirurgiens en préparent un onguent digestif, très-usité & très-recommandé dans les plaies ; ils mêlent avec la térébenthine une suffisante quantité de jaunes d’œuf & de l’huile rosat, ou quelqu’autre liqueur convenable.

Dans la dyssenterie, les exulcérations des intestins, la néphrétique, la suppression de l’urine ; on donne utilement des lavemens avec la térébenthine. Il faut cependant l’employer avec prudence, & dans les cas où l’on n’a pas lieu de craindre l’inflammation des visceres. Elle est encore d’usage dans la gonorrhée, & les fleurs blanches. La résine du térébinthe, la térébenthine de Venise, & celle de Cypre, ont les mêmes propriétés. On préfere cependant la térébenthine du mélese à toutes les autres pour l’usage intérieur. On prépare avec cette térébenthine un esprit & un huile de térébenthine, ainsi que de la colophone ; enfin la térébenthine du mélese entre dans presque tous les onguens, & les emplâtres des pharmacopées.

La térébenthine de Strasbourg, ou plutôt la térébenthine de sapins, est nommée dans les auteurs résine liquide des sapins ; terebenthina abietina, terebenthina argentoratensis, c’est une substance résineuse, liquide lorsqu’elle est récente, plus transparente que celle du mélese, moins visqueuse & moins tenace : son odeur est plus agréable & plus amere, & ressemble en quelque façon à celle de l’écorce de citron, dont elle a presque le goût : elle jaunit & s’épaissit avec le tems. On l’appelle térébenthine de Strasbourg, parce qu’on l’apporte de cette ville à Paris.

Cette liqueur résineuse découle du sapin nommé abies taxi folio, fructu sursum spectante, I. R. H. 585, abies conis sursum spectantibus, sive mas, C. B. P. 505. Cet arbre est grand, & surpasse le pin par sa hauteur. Son tronc est droit, nud par le bas, couvert d’une écorce blanchâtre & cassante. Ses branches croissent tout-autour du tronc, quelquefois au nombre de quatre, de cinq, de six, & même davantage ; elles sont ainsi arrangées de distance en distance jusqu’au sommet. Ces branches donnent des rameaux disposés le plus souvent en forme de croix, sur lesquels naissent de tous côtés de petites feuilles mousses, d’un verd foncé en-dessus, un peu blanchâtres en-dessous, & traversées par une côte verte.

Ses fleurs sont des chatons composés de plusieurs sommets d’étamines, qui se partagent en deux loges, s’ouvrent transversalement, & répandent une poussiere très-fine, le plus souvent de la figure d’un croissant, comme on l’observe au microscope. Ces fleurs sont stériles. Les fruits naissent dans d’autres endroits du même arbre : ce sont des cones oblongs presque ovoïdes, plus courts & plus gros que ceux de la pesse ou picea : ils sont composés d’écailles larges à leur partie supérieure, attachés à un axe commun, sous lesquelles se trouvent deux semences garnies d’un feuillet membraneux, blanchâtres, remplies d’une humeur grasse & âcre. Ces cônes sont verds au commencement de l’automne, & donnent beaucoup de résine ; & vers le commencement de l’hiver ils parviennent à leur maturité. Cet arbre est très commun en Allemagne, & dans les pays du nord.

On tire la résine ou l’huile de sapin, non-seulement de la tige & des branches, mais encore de quelques tubercules qui sont placées entre l’écorce. Celle qui découle de sa tige par l’incision que l’on y fait est moins odorante & moins précieuse : lorsqu’elle est seche, elle ressemble un peu à l’encens par sa cou-