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avoit coupé la partie supérieure, parce qu’on ne trouve pas des gobelets aussi épais que le sont les flacons. Après l’avoir fait monter sur un tour en l’air, & l’avoir mis aussi rond de tous les sens qu’il fut possible (car quelque rond que paroisse un verre soufflé, il ne l’est jamais entierement, & les bords ne se trouvent pas perpendiculaires au fond), on essaya de le dégrossir au sable de grès avec un outil de bois dur ; mais comme le travail languissoit, on substitua du gros émeril au sable, ce qui fit beaucoup mieux ; cependant le verre ne se trouvoit pas rond, & l’outil pouvoit en être la cause.

Pour y remédier, on fondit d’autres outils composés d’un alliage de plomb & d’une partie d’étain. Ces nouveaux outils exerçant une résistance plus forte, & toujours plus égale que ceux de bois, produisirent un effet favorable, & le verre fut plutôt & plus exactement rond. Mais l’outil par le travail formoit une boue dangereuse pour l’ouvrier. On sait que le plomb infiniment divisé, en s’insinuant par les pores de la peau, enfante des maladies très-graves, & les ouvriers qui ne travaillent que l’étain pur, ne courent pas les mêmes risques. On fondit donc des outils de ce métal qui réussirent encore mieux que ceux dans lesquels il entroit du plomb, parce qu’etant d’une matiere plus dure, ils étoient encore moins exposés à perdre leur forme.

Ayant enfin dégrossi les grandes parties avec le gros émeril & les outils d’étain, on fit des moulures avec de petits outils de cuivre ; ceux d’étain minces, tels qu’il les faut pour cet ouvrage, perdoient leur forme en un instant, & ne pouvoient tracer des petites parties bien décidées, telles qu’elles doivent être pour former des moulures. On travailla ensuite à effacer les gros traits avec un émeril plus fin ; on se servit d’autres fois d’un troisieme émeril en poudre encore plus fin, pour effacer les traits du second, usant toujours des outils d’étain pour les grandes parties, & de cuivre pour les moulures.

Enfin l’ouvrage étant parfaitement adouci (car il est impossible de détruire les traits du premier émeril qu’avec le second, & ceux du second qu’avec le troisieme), on se servit de pierre de ponce entiere, laquelle ayant reçu une forme convenable au travail, & servant d’outil & de moyen pour user, effaça entierement le mat du verre travaillé par le troisieme émeril. Cette pierre qui paroît fort tendre, ne laisse pas cependant de mordre sur le verre. Il est même important de choisir la plus légere pour cette opération ; elle n’a pas de ces grains durs que l’on trouve dans la pierre ponce compacte, qui pourroient rayer l’ouvrage, & faire perdre dans un instant le fruit du travail de plusieurs jours. Alors il ne fut plus question que de donner le poli au verre ; on le fit avec la potée d’étain, humectée d’huile, appliquée sur un cuir de vache propre à faire des semelles d’escarpin, & le cuir collé sur des morceaux de bois de forme convenable à l’ouvrage.

Lorsqu’on travaillera le verre avec l’émeril ou avec la ponce, on ne manquera pas d’humecter l’un & l’autre avec de l’eau commune. Il ne faut ni noyer, ni laisser les matieres trop seches ; si on les noyoit trop, le lavage feroit perdre l’émeril, parce que l’eau l’entraîneroit ; si on laissoit l’émeril trop sec, il ne formeroit qu’une boue trop épaisse pour mordre.

La préparation de l’émeril n’est pas de peu d’importance pour la perfection de ce travail. Le gros émeril que l’on trouve chez les marchands, est en poudre si inégale & si grossiere, qu’il seroit impossible de s’en servir tel qu’il est. Les parties de l’émeril dans cet état formeroient des traits, qui s’ils n’exposoient pas le verre au risque d’être coupé, prépareroient du-moins un travail proportionné à leur profondeur : inconvénient qu’il faut éviter, si l’on ne

veut se mettre dans le cas d’être obligé de doubler ou de tripler le tems qu’il faut pour tourner le verre.

Toute la préparation de l’émeril consiste à le broyer dans un mortier de fer, & a enlever par le lavage, de l’émeril en poudre plus ou moins fine, ainsi qu’on le pratique dans les manufactures des glaces.

On prendra du gros émeril tel qu’il se vend chez les marchands ; car leur émeril fin est communément de l’émeril qui a servi, & qui est altéré par les matieres, au travail desquelles il a déja été employé ; il se vend sous le nom de potée d’émeril. On mettra ce gros émeril dans un mortier de fer ; on l’humectera d’eau commune, & on le broyera jusqu’à ce que les plus gros grains aient été écrasés : ce qui se sentira aisément sous le pilon. On versera dans le mortier une quantité d’eau suffisante pour en emplir les trois quarts, en délayant bien tout l’émeril qui sera au fond. Après avoir laissé reposer l’eau un instant, on en versera environ les deux tiers dans une terrine vernissée ; on broyera de nouveau ce qui sera précipité au fond du mortier, on le lavera comme la premiere fois, & l’on répétera cette manœuvre jusqu’à ce qu’on appercoive qu’il ne reste plus qu’un tiers, ou environ, de l’émeril dans le mortier.

Cet émeril ne sera pas en poudre bien fine ; mais il n’aura plus les grains dangereux qu’il avoit auparavant ; il sera propre à commencer l’ouvrage ; car, ainsi que je l’ai déja dit, les verres soufflés étant trop peu ronds, il faut pour les ébaucher, une matiere qui les ronge avec une force proportionnée à leur inégalité. On agitera ensuite l’eau de la terrine chargée d’émeril ; on laissera reposer cette eau pendant une minute ; on en versera en inclinant doucement, les deux tiers dans un autre vase vernissé. On lavera encore l’émeril de la premiere terrine, afin d’en enlever les parties les plus fines, en versant toujours de même l’eau après l’avoir agitée, & laissé reposer comme la premiere fois. On laissera précipiter ces deux sortes d’émeril ; on jettera l’eau qui les surnagera ; l’émeril de la premiere terrine sera de la seconde finesse, & celui de la seconde sera l’émeril le plus fin. La potée d’étain contient souvent des grains durs, qui peuvent rayer le verre au lieu de le polir ; il seroit bon conséquemment de la préparer comme l’émeril, en n’en faisant cependant que d’une sorte. Si on vouloit user du tripoli de Venise, on le prépareroit comme la potée d’étain ; il donne un très-beau poli au verre.

Le choix du mastic n’est point indifférent ; il faut qu’il soit de nature à pouvoir être adhérent au verre. Les ouvriers composent ordinairement leur mastic fin avec la colophone, la poix blanche, la poix noire & le rouge-brun d’Angleterre. Ils combinent ces ingrédiens, de façon qu’ils font un tout plus dur que mol. Si le mastic est trop mol, le verre en s’échauffant pendant le travail, seroit exposé à se déjetter ; il seroit difficile de le remettre rond, & le travail deviendroit très-imparfait ; il est donc important qu’il soit un peu dur. On fait chauffer le mastic & le verre pour le mastiquer ; on les fera chauffer de même insensiblement pour l’enlever de dessus le mandrin ; mais s’il restoit du mastic attaché au verre, il faudroit l’humecter d’huile, le faire chauffer de nouveau ; alors le mastic pénétré par l’huile deviendra liquide & s’enlevera aisément, en l’essuyant avec un linge.

Le mastic dont on vient de donner la recette, est très-bon ; mais il arrive que lorsque l’on essuie le verre pour en enlever le mastic dissous par l’huile, les grains de rouge-brun d’Angleterre qui sont mordans, le rayent. Il vaudroit donc mieux faire entrer le blanc d’Espagne au lieu du rouge-brun ; le verre ne seroit point exposé aux mêmes inconvéniens, & le mastic n’en auroit pas moins les mêmes propriétés.

Il seroit assez difficile de déterminer la forme des outils ; elle dépendra de celle que l’on aura dessein