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quadrupede, ruminant, qui a le pié fourchu, les cornes branchues, non creuses, & tombant chaque année : voilà les caracteres généraux sur lesquels on a établi le genre d’animaux qui portent le nom de cerf, cervinum genus : ce genre comprend le cerf, le dain, l’élan, le renne, le chevreuil, la giraffe, &c. Voyez ces derniers à leurs articles.

Le cerf proprement dit est de la grandeur d’un petit cheval ; son poil est de couleur fauve rougeâtre ; ses cornes sont longues, & d’une consistance très-dure ; le devant de la tête est plat ; les yeux sont grands ; les jambes longues & menues, & la queue courte.

On prétend que les cerfs vivent très-long-tems ; on a dit que la durée de leur vie s’étendoit à plusieurs siecles : on a même avancé jadis qu’ils vivoient quatre fois aussi long-tems que les corneilles, à qui l’on donnoit neuf fois la durée de la vie de l’homme. On peut juger de cette fable par le résultat, qui assigneroit aux cerfs trois mille six cens ans de vie.

Pline a assûré qu’on en avoit pris un plus de cent ans après la mort d’Alexandre, avec un collier d’or chargé d’une inscription, qui marquoit que ce collier lui avoit été donné par ce prince. On en raconte autant de César. On dit aussi que l’on trouva la biche d’Auguste plus de deux siecles après sa mort. On sait l’histoire du cerf chassé par Charles VI.

On connoît la vieillesse, mais non l’âge des cerfs, aux piés & à la tête, ainsi qu’aux allures. Ils ont à sept ans leur entiere hauteur de corps & de tête. On raconte de leurs courses, de leurs reposées, de leur pâture, ressui, diete, jeûnes, purgations, circonspection, maniere de vivre, sur-tout lorsqu’ils ont atteint l’âge de raison, une infinité de choses merveilleuses, qu’on trouvera dans Fouilloux, Salnove, &c. qui ont écrit de la chasse du cerf en enthousiastes, &c.

Age & distinction des cerfs. Depuis qu’un cerf est né jusqu’à un an passé, il ne porte point de bois, & s’appelle faon. En entrant dans la seconde année, il pousse deux petites perches qui excedent un peu les oreilles ; on appelle ces perches dagues, & ces jeunes cerfs, daguets. La troisieme année les perches qu’ils poussent se sement de petits andouillers, au nombre de deux à chaque perche. Les quatrieme & cinquieme année, la tête prend 8, 10, 12 pouces de long. La sixieme, dans laquelle le cerf s’appelle cerf dix cors jeunement, la tête prend 12 à 14 pouces. La septieme, dans laquelle il s’appelle cerf de dix cors, elle prend 16, 18, 20, & 24 pouces. La huitieme année, il prend le nom de grand cerf ; & la neuvieme, celui de grand vieux cerf.

Du rut des cerfs. Les vieux cerfs, les cerfs de dix cors, & ceux de dix cors jeunement, entrent en chaleur au commencement du mois de Septembre, quelquefois plûtôt ou plûtard de sept à huit jours : il leur prend alors une mélancholie qui dérange considérablement la sagesse de leur conduite. Ils ont la tête basse ; ils marchent jour & nuit, ce qui s’appelle muser ; ils deviennent furieux ; ils attaquent l’homme, &c. cet état dure cinq ou six jours, au bout desquels ils entrent dans la forte chaleur du rut, beuglent, ce qui s’appelle raire, ou réer, cherchent les biches, les poursuivent, & les tourmentent. Après le rut de ces cerfs, commence celui des jeunes, qui s’emparent des biches en l’absence des vieux, & se contentent de leurs restes.

Le fort du rut est depuis quatre heures du soir jusqu’à neuf heures du matin : Ils ont alors entr’eux des combats où il y en a de blessés, & même de tués : leurs cornes s’entrelacent ; ils restent pris tête contre tête, & sont dévorés des loups. Ceux qui voudront lire des merveilles de leurs combats amoureux, pourront consulter les auteurs que nous avons cités plus haut.

Le rut des grands cerfs dure trois semaines, dans lesquelles ils ont quinze à seize jours de forte chaleur ; le rut des jeunes cerfs dure douze à quinze jours : ainsi le tems du rut en général est d’environ cinq semaines. Alors la chasse en est dangereuse, & pour les chasseurs & pour les chiens : le cerf répand, dit-on, dans le rut une odeur si forte & si puante, que les chiens refusent quelquefois de le chasser.

Le rut de la biche est plus tardif que celui des cerfs ; un cerf en saillit jusqu’à quinze ou seize.

La biche est plus petite que le cerf ; elle n’a point de cornes ; ses mamelles sont au nombre de quatre, comme celles de la vache ; elle porte pendant huit mois & n’a qu’un faon, qu’elle garde jusqu’au tems du rut.

Charles I. roi d’Angleterre, dont Harvey étoit Medecin, lui abandonna toutes les biches de ses parcs : ce fut au-dedans de ces animaux qu’il chercha à découvrir le mystere de la génération. Harvey, dit M. de Maupertuis, dans sa Venus physique, opuscule où l’esprit & les connoissances se sont remarquer également, immolant tous les jours quelque biche dans le tems où elles reçoivent le mâle, & disséquant leurs matrices, n’y trouva jamais de liqueur séminale du mâle, jamais d’œuf dans les trompes, jamais d’altération à l’ovaire prétendu, qu’il appelle comme d’autres Anatomistes, le testicule de la femelle. Les premiers changemens qu’il apperçût dans les organes de la génération furent à la matrice ; il trouva cette partie enflée & plus molle qu’à l’ordinaire. Dans les quadrupedes elle paroît double, quoiqu’elle n’ait qu’une seule cavité ; son fond forme comme deux réduits qu’on appelle cernes, dans lesquelles se trouve le fœtus. Ce furent ces endroits qui lui parurent les plus altérés ; Harvey y observa plusieurs excroissances spongieuses, qu’il compare au bout des tétons des femmes. Il en coupa quelques-unes qu’il trouva parsemées de petits points blancs enduits d’une matiere visqueuse ; le fond de la matrice qui formoit leurs parois, étoit gonflé & tuméfié comme les levres des enfans, lorsqu’elles ont été piquées par des abeilles, & tellement mollasse, qu’il paroissoit d’une consistance semblable à celle du cerveau.

Pendant les mois de Septembre & d’Octobre, tems auquel les biches reçoivent le cerf tous les jours, & par des expériences de plusieurs années, Harvey ne parvint jamais à découvrir dans toutes les matrices des biches, une seule goutte de liqueur séminale.

Au mois de Novembre, la tumeur de la matrice étoit diminuée, & les caroncules fongueuses devenues flasques : mais ce qui fut un nouveau spectacle pour l’observateur, des filets déliés, étendus d’une corne à l’autre de la matrice, formoient une espece de réseau semblable aux toiles d’araignée, & s’insinuant entre les rides de la membrane intérieure de la matrice, ils s’entrelaçoient autour des caroncules, à peu près comme on voit la pie-mere suivre & embrasser les contours du cerveau.

Ce réseau forma bientôt une poche dont les dehors étoient enduits d’une matiere fétide, le dedans lisse & poli contenant une liqueur semblable au blanc d’œuf, dans laquelle nageoit une autre enveloppe sphérique, remplie d’une liqueur plus claire & crystalline ; ce fut dans cette liqueur qu’il apperçut un nouveau prodige. Ce ne fut point un animal tout organisé, comme on le devoit attendre ; ce fut le principe d’un animal, un point vivant, punctum saliens. On le vit dans la liqueur crystalline sauter & battre, tirant son accroissement d’une veine qui se perd dans la liqueur où il nage.

Les parties du corps viennent bientôt s’y joindre, mais en différent ordre & en différent tems ; ce n’est d’abord qu’un mucilage divisé en deux petites mas-