Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Or, ce sont là des influences auxquelles personne n’échappe. Aux États-Unis, on constate encore aujourd’hui que les enfants, nés dans les États méridionaux, par exemple à la Nouvelle-Orléans, de parents venus de France ou d’ailleurs, évoluent, dès le lendemain de leur naissance, en conformité avec ce que l’on pourrait nommer le type local. Cela va de la tonalité du teint, qui se fait plus mat, jusqu’au dessin du pied qui presque toujours s’améliore. Cela se caractérise par une délicatesse plus grande dans les attaches, des progrès dans la souplesse, un ensemble de retouches au type atavique qui concourent au développement de la grâce.

Cette souplesse, cette élégance, dissimulées sous la force, persistèrent chez Leconte de Lisle jusque dans la vieillesse. Vers soixante-cinq ans, après une longue privation d’exercices physiques, et les chances d’engourdissement d’une vie sédentaire, il était encore si jeune d’allures, si vigoureux et si musclé, qu’il put se remettre à monter à cheval avec l’aisance d’un bon cavalier pour accompagner, dans ses promenades, une jeune femme dont la beauté le charmait, et même, accomplir sous ses yeux des prouesses de nageur.

La veille de sa mort sa stature était toujours aussi droite, sa poitrine aussi ouverte, sa tête aussi fièrement posée sur ses épaules, qu’au temps de sa jeunesse.

Mais cette part faite aux dons heureux que le poète devait à son île nourrice, il n’y avait rien de créole en Leconte de Lisle, pas plus dans son âme que dans le dessein de son visage. En dehors de photographies, peu nombreuses, — car Leconte de Lisle répugnait à venir s’assoir devant un objectif — il existe de lui deux portraits de son ami Jobbé Duval, un à l’huile, qui le peint vers sa trentième année, l’autre à la sanguine, qui le montre dix ans plus tard. Puis de belles images de La Gandara et de Blanche, enfin un portrait de Benjamin Constant qui fut achevé lorsque le poète venait d’atteindre sa soixante-dixième année : à cette mi-