Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Doué d’une façon supérieure pour entrer, par la voie des sens, en communication avec l’univers, Leconte de Lisle a fait, à l’émotion qui lui vient du parfum des choses, une place importante dans sa poésie. C’est ainsi que, pour lui, le souffle d’un beau soir d’été est « chargé d’odeurs suaves » ; il lui apporte « l’âme errante des fleurs ». Une ville orientale l’enveloppe de ses « odeurs d’épices » ; il est caressé, à la fois par l’air tiède, et par le parfum des jasmins, qui embaument, dans la vérandah où il s’assoupit.

Il n’a pas besoin de la présence de l’homme, dans le paysage, pour faire flotter des parfums dans l’air. Il suffit qu’un fauve traverse une clairière de la forêt vierge pour éveiller, sous ses griffes, le chœur des odeurs, dans la lumière :


« … Et des monts et des bois, des fleurs, des hautes mousses,
Dans l’air tiède et subtil, brusquement dilaté,
S’épanouit un flot d’odeurs fortes et douces,
                   Plein de fièvre et de volupté[1]. »


Ces odeurs « fortes et douces » le poète les perçoit à la fois et simultanément. Dans la grande symphonie des odeurs, il distingue la note la plus isolée, la plus discrète, comme par exemple, l’odeur d’une coupe de bois « récemment ciselé » par un pasteur grec.

À côté de la joie que lui apportent les parfums, la vision de la couleur, enchante le jeune créole autant que la perception des bruits de la nature ; pour lui, les choses, n’existent et ne valent que par le cerveau qui les conçoit et par les yeux qui les contemplent.

Il aime le livre des Contemplations de Victor Hugo « parce qu’on y entend les voix sans nombre de la nature, mêlées aux douleurs et aux joies humaines ». Il félicite Baudelaire de ce que ses poésies laissent dans les yeux « de splen-

  1. « La Panthère noire ». Poèmes Barbares.