Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
L’ÉVEIL DU POÈTE

Le goût de contempler la bête, longuement, de l’étudier dans l’intimité de ses mouvements, de la surprendre dans son instinct, a suivi Leconte de Lisle toute sa vie. Le fait est, qu’après avoir traversé les pays exotiques, où il l’avait observée vivante, il voyagea à travers les livres d’histoire naturelle, où les mœurs des animaux sont scientifiquement dépeintes. Ces ouvrages techniques occupaient une bonne place dans sa bibliothèque. D’autre part, les promenades au Jardin des Plantes, les stations devant les parcs et les grilles, furent toujours des distractions chères au poète.

Aussi bien, est-ce comme un admirable animalier, que dès 1852, il se révéla au public, à travers l’admiration de Sainte-Beuve. Les « bœufs blancs » de son poème de Midi le suivirent dans toute sa carrière, comme s’ils étaient attelés à un char triomphal sur lequel l’admiration des amants de la poésie voulait l’asseoir. Il était même un peu irrité de cette préférence obstinée du public pour les beautés de cette pièce, si caractéristique de sa manière, comme tel grand sculpteur finit par souffrir nerveusement d’apercevoir en bronze, en marbre, en plâtre, sur les pendules et le long des revers des quais, une figure où, un jour, en passant, il a mis de la perfection :

« Midi ! répétait volontiers Leconte de Lisle, mais c’est mon Vase brisé ! »

Il reste, qu’il demeure impossible d’élever le plus modeste monument à la mémoire du poète, sans graver quelque part, sur un des bas-reliefs, ces « bœufs blancs » qui :


« … Couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais.
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes,
Le songe intérieur qu’ils n’achèvent jamais…[1] »



    empaillé avec tant d’art, qu’il était impossible de ne pas le croire vivant… » Le Cap, 1837.

  1. « Midi ». Poèmes Antiques.