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L’ÉVEIL DU POÈTE

À travers l’œuvre du poète, une raison d’estime particulière fait cortège au lion : il ne détruit point pour détruire, il n’exerce que son droit à la vie. Plus encore que les autres, ce fauve est observé ici dans sa psychologie intime. Tout tremble à l’approche de l’animal « chargé d’odeurs fauves ». Au bruit de son rauque grondement, un peuple effrayé « rampe sous les arbustes » :


« On entend approcher un souffle rude et sourd
Qui halète, et des pas légers près d’un pas lourd.[1] »


Et le roi chevelu paraît, le col droit, l’œil au guet ; sa queue, au fouet roux, bat ses flancs ; son pas est mélancolique ; songeur il regarde l’espace ; il est suivi de sa farouche famille, lionne et lionceaux :


« Hors du fourré, tous quatre, au faîte du coteau,
Aspirant dans l’air tiède une proie incertaine,
Un instant arrêtés, regardent dans la plaine
Que la lune revêt de son blême manteau.

La mère et les enfants se couchent sur la ronce,
Et le roi de la nuit pousse un rugissement
Qui, d’échos en échos, mélancoliquement,
Comme un grave tonnerre à l’horizon s’enfonce.[2] »


À côté des animaux qui rugissent vers le soleil couchant, le poète a fait une place à ceux qui hurlent à la lune : le loup du Hartz, le chien du Cap.

Seul sur la neige livide, avec sa langue qui pend de sa gueule profonde, avec la haine qui brûle dans ses entrailles, avec ses poils rudes « levés comme les clous » le loup, prend, pour Leconte de Lisle, la figure d’un « Roi du Nord ». Il suffit qu’il paraisse, pour que toute l’épouvante des sorcelleries traverse nos os :

  1. « Les Clairs de Lune ». Poèmes Barbares.
  2. lbid.