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LA NATURE ÉDUCATRICE

En effet, à partir de ce jour où l’art a « fécondé » son instinct, c’est la nature qui devient, pour Leconte de Lisle, le livre vivant :


La Vie immense, auguste, palpitait,
Rêvait, étincelait, soupirait et chantait…[1] »


On lit, dans son poème de Khiron une page, sur la beauté de la terre au lendemain du déluge, alors que la nature était toute proche de l’homme encore primitif. L’antique Centaure « remonte les temps » ; il se souvient, il s’écrie :


« Oui ! J’ai vécu longtemps sur le sein de Kybèle.
Dans ma jeune saison que la Terre était belle !…
Les Cieux étaient plus grands ! D’un souffle généreux
L’air subtil emplissait les poumons vigoureux…
Oui ! J’étais jeune et fort, rien ne bornait mes vœux :
J’étreignais l’univers entre mes bras nerveux ;
L’horizon sans limite aiguillonnait ma course,
Et j’étais comme un fleuve égaré de sa source
Qui, du sommet des monts soudain précipité,
Flot sur flot s’amoncelle et roule avec fierté.[2] »


On sent que le poète étreint, lui aussi, entre ses bras nerveux l’Univers adoré ; que jamais ses pieds ne sont fatigués de l’espace, et que, pareil au demi-dieu qu’il a évoqué, il erre heureux, sauvage et libre :


« Emplissant ses poumons du souffle des déserts
Et fuyant des mortels les obscures demeures…[3] »


D’autre part, dans sa nouvelle : Le Songe d’Hermanr Leconte de Lisle a écrit : « … La contemplation constante de la beauté visible et invisible dans la nature — cette seconde ouïe de l’âme qui prête des chants mélodieux ou sublimes aux diverses formes organiques, cette étincelle qui vi-

  1. « Bhagavat ». Poèmes Antiques.
  2. « Khiron ». Poèmes Antiques.
  3. « Khiron ». Poèmes Antiques.